Connaissez-vous la spiritualité du Coeur de Jésus?


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Connaissez-vous la spiritualité du Coeur de Jésus?
Par Christophe Herinckx
Publié le - Modifié le
7 min

Ce vendredi 11 juin, l'Eglise fête le Sacré-Coeur de Jésus. Désuète pour certains, centrale pour d’autres, la dévotion au Cœur de Jésus a pris de plus en plus d’importance dans la spiritualité de l’Eglise catholique au cours des siècles. Elle trouve sa source dans différentes images bibliques, et nous plonge à sa façon au… cœur de la révélation chrétienne.

Lorsqu’on pense à la spiritualité du Sacré-Cœur, certaines images montent spontanément dans notre imagination: des statues et des portraits du Christ pointant un doigt sur son cœur, représentations remontant pour la plupart au XIXe siècle, et qui nous apparaissent aujourd’hui comme mièvres et surannées.

Si c’est, de fait, au XIXe siècle que la dévotion populaire au Sacré-Cœur de Jésus a été la plus répandue, son histoire s’étend sur pratiquement deux millénaires d’histoire du christianisme occidental. Présente en germe dès l’Antiquité, elle s’est développée au cours du Moyen-Age, pour atteindre son expression la plus achevée à l’époque moderne. C’est en effet sainte Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690) qui a donné une impulsion particulière à la dévotion au Cœur de Jésus. Entre 1673 et 1675, à Paray-le-Monial, petit village de Bourgogne, cette religieuse visitandine reçoit des apparitions et des révélations privées de Jésus, qui lui dit notamment: "Voici ce Cœur qui a tant aimé les hommes qu’il n’a rien épargné jusqu’à s’épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour. Et pour reconnaissance je ne reçois de la plupart que des ingratitudes."

"Le noyau essentiel du christianisme"

L’authenticité de ce message sera reconnu par le pape Clément XIII en 1765, qui instituera officiellement la fête du Sacré-Cœur, célébrée trois semaines après la Pentecôte, et qui avait été demandée par le Christ à Marguerite-Marie. Cette fête sera étendue à toute l’Eglise le 23 août 1856 par le pape Pie IX, pour devenir enfin une solennité (à l’instar des fêtes liturgiques majeures comme Noël ou Pâques) dans le rite de saint Paul VI, issu du Concile Vatican II en 1970.

La spiritualité du Cœur de Jésus, passée progressivement de la dévotion privée au culte public, n’est donc pas tombée en désuétude après le Concile Vatican II. Bien au contraire, elle a repris vigueur dans la deuxième moitié du XXe siècle, et tous les papes qui se sont succédé après le Concile, y compris le le pape François, ont insisté sur son importance. En témoignent ces quelques mots du pape Benoît XVI, prononcés en 2009: "Dans le Cœur de Jésus est exprimé le noyau essentiel du christianisme; dans le Christ nous a été révélée et donnée toute la nouveauté révolutionnaire de l’Evangile: l’Amour qui nous sauve et nous fait vivre déjà dans l’éternité de Dieu."

"Le Cœur du Christ se rapporte à l’Amour dont Dieu nous aime, Amour qui est Dieu et vie éternelle."

En quoi cette image du cœur, appliquée au Christ, exprime-t-elle, voire résume-t-elle l’essentiel de la foi chrétienne? Benoît XVI nous met sur la voie: le Cœur du Christ se rapporte à l’Amour dont Dieu nous aime, Amour qui est Dieu et vie éternelle. Cette métaphore du Cœur de Jésus n’est donc pas si éloignée de notre perception familière du cœur: "Je t’aime de tout mon cœur", dit-on à l’être qui nous est cher, et lorsqu’on veut exprimer toute la sincérité et la profondeur de notre reconnaissance, on dit "Je te remercie de tout cœur." Bien plus qu’une émotion ou un sentiment passager, l’idée du cœur peut exprimer ce qu’il y a de plus profond en nous. Ainsi en va-t-il, par analogie, de Dieu lui-même.

Le cœur biblique

La réalité biblique du cœur est en effet également liée à une notion d’amour, qu’il s’agisse de l’homme ou de Dieu, tout en allant plus loin: dans la Bible, le cœur est compris comme le siège de la vie physique, mais également comme le centre de toute la vie spirituelle de l’humain. Le cœur est ainsi la source des émotions, des désirs, mais aussi de la volonté, du caractère et de l’intelligence de l’homme. En ce sens, il est lié à l’esprit, à l’âme, à ce qu’on qualifie volontiers aujourd’hui de conscience – dans le sens de la conscience morale, mais aussi de la vie intérieure la plus profonde.

On comprend dès lors toute la portée de certains passages, tant de l’Ancien que du Nouveau Testament: "Je vous donnerai un cœur nouveau et je mettrai en vous un esprit nouveau. Je retirerai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair" (Ezéchiel 36, 26); "Déchirez votre cœur et non vos habits, et revenez à l'Eternel, votre Dieu, car il fait grâce, il est rempli de compassion, lent à la colère et riche en bonté" (Joël 2, 13); "Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu" (Matthieu 5, 7); "En effet, même si notre cœur nous condamne, Dieu est plus grand que notre cœur et il connaît tout" (1 Jean 3, 20).

Ces différents passages concernent le cœur de l’homme. Mais parle-t-on également du cœur de Dieu dans la Bible? Si les occurences sont moins nombreuses, elle sont cependant bien présentes: "J’ai trouvé David, fils de Jessé, un homme selon mon cœur, qui accomplira toutes mes volontés", cite Paul dans les Actes des apôtres, évoquant deux passages vétéro-testamentaires où Dieu lui-même parle de son cœur…

Ce terme (leb en hébreu, kardia en grec) peut être rapproché d’une autre notion biblique rapportée à Dieu: rahamim, qui signifie littéralement le sein maternel, l’utérus ou les entrailles. L’amour, la compassion, la tendresse, la miséricorde de Dieu envers son Peuple est ainsi rapproché du lien viscéral, de l’amour plein de tendresse d’une mère pour son enfant. "Ephraïm est-il donc pour moi un fils si cher, un enfant tellement préféré, pour qu’après chacune de mes menaces je doive toujours penser à lui, et que mes entrailles s’émeuvent pour lui, que pour lui déborde ma tendresse?" (Jérémie 31,20).

Amour divin et humain

Pour résumer ce bref parcours, on peut dire que l’évocation de l’image du cœur à propos de Dieu exprime, de façon particulièrement parlante, sa Réalité même: Dieu est Amour inconditionnel et fidèle, un Amour paternel mais également maternel, qu’il porte à l’humanité. C’est en vertu de cet Amour que Dieu ne cesse de chercher l’humanité pour le ramener à Lui. "Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique", dit Jésus à Nicodème (Jean 3, 16). En tant qu’Envoyé du Père, Jésus manifeste pleinement l’Amour de Dieu, en aimant les siens jusqu’à l’extrême (Jean 13, 1), dans le don sans réserve de lui-même, qui va nous réconcilier avec le Père. En d’autres termes, le Cœur aimant de Dieu se manifeste dans le Cœur du Christ, dans son être le plus intime, divin mais également pleinement humain, l’amour divin se révélant pleinement à travers son amour humain.

C’est sur cet arrière-fond qu’il faut comprendre le passage qui a, sans conteste, le plus inspiré la spiritualité du Cœur de Jésus. Après que Jésus ait "remit l’esprit" sur la croix, les soldats s’approchent de de lui: "ils constatèrent qu’il était déjà mort et ils ne lui brisèrent pas les jambes. Mais un des soldats, d’un coup de lance, le frappa au côté, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu a rendu témoignage, et son témoignage est conforme à la vérité" (Jean 19, 33-35). Du Cœur transpercé du Christ jaillit du sang, symbole de la vie, et de l’eau, image de l’Esprit. "L’eau que je lui donnerai deviendra en lui une souce jaillissant en vie éternelle", disait Jésus à la Samaritaine, figurant déjà le don de l’Esprit Saint comme fruit de sa mort et de sa résurrection (Jean 4, 14).

C’est dire que notre cœur ne peut retenir l’Esprit qu’il a reçu. Notre cœur devient, à son tour, une source de Vie pour les autres. Une source qui vient de plus loin que nous, mais qui jaillit cependant en nous, et à laquelle les autres peuvent venir s’abreuver. Ainsi, l’Amour devient un fleuve d’eau vive, s’élargissant à partir des petites sources que nous sommes chacune et chacun. Les petits ruisseaux font les grandes rivières…

Christophe HERINCKX


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