Expo Dubuffet : l’infiniment petit mis en lumière


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Expo Dubuffet : l’infiniment petit mis en lumière
Par Angélique Tasiaux
Journaliste de CathoBel
Publié le - Modifié le
4 min

Joliment surnommé le preneur d'empreintes, Jean Dubuffet (1901-1985) est un artiste autodidacte, sensible au monde environnant. Une rétrospective de sa production artistique est à découvrir à La Louvière.

Le Centre de la Gravure et de l'Image imprimée expose traditionnellement le travail d'un artiste, comme celui de Pierre Alechinsky en 2017 ou celui de François Schuiten en 2015. Cette fois, c'est le plasticien français Jean Dubuffet qui est mis à l'honneur, au travers d'une partie de la série des "Phénomènes". Une immersion dans un travail lent et passionné, selon une méthodologie en cours de construction tout au long de la démarche artistique.

Dans cette exposition, les panneaux ne sont pas surchargés par les accrochages. Aucune cloison ne limite le regard dans la grande salle d'exposition, affranchie de séparations visuelles. Piscine publique dans les années 30, le bâtiment en a conservé l'espace ouvert du bassin de natation.

Pour rappel, la lithographie est la reproduction d'un tracé sur une pierre calcaire. Ce procédé permet d'obtenir des planches ou des images imprimées. A côté de la reproduction sur pierre ou sur zinc, Jean Dubuffet a également recouru au procédé du papier report, qui lui permettra de jongler avec les mots et l'écriture. C'est, en effet, avec les graffitis gravés sur les murs que ce touche-à-tout a débuté son travail d'observation, dans les années 40. Jouant avec la langue française, il n'a pas hésité à la malmener pour composer des mots et un code langagier. Nouvelle étape dans sa progression exploratrice, avec, la décennie suivante, l'assemblage de textures différentes par découpages successifs, le tout dans une atmosphère botaniste. L'ensemble expérimental, le plus souvent à l'encre de Chine, se compose d'empreintes superposées. Les séries des "Texturologies" et des "Matériologies" voient ainsi le jour, mêlant peinture et lithographie. Tout ce travail préparatoire de mise au point de textures, de collages et d'huiles sur toile constitue les fondements des fameux "Phénomènes".

Une exploration du quotidien

La poésie habite la démarche rigoureuse de l'artiste, qui traque et collecte les moindres traces du sol. "Il n'y pas de motif répété ni systématique", observe François Bertieaux, un collaborateur de l'institution louviéroise. Vaste répertoire, la série des "Phénomènes" compte 324 lithographies réalisées en quatre ans, de 1958 à 1962. Les unes sont en noir et blanc, les autres en couleur. Dans une volonté didactique, l'artiste a consigné les étapes successives de son travail, dans un relevé précis. Pour lui, il importe d'évoquer "très souvent des fragments de sols ou de murs mais aussi bien toutes sortes d'autres éléments ou phénomènes tels que l'eau, le vent, le ciel, les foliations ou germinations". Comme le rappelle Laurent Busine, l'ancien directeur du MAC's (musée des Arts contemporains), "si le matériau utilisé par Jean Dubuffet est volontairement banal, ordinaire, son travail par contre est hors du commun". La démarche s'inscrit même "hors du temps" pour celui qui "fut parmi les rares observateurs à s'aventurer sur des chemins de curiosités naturelles". Parmi les titres des planches choisis avec précision, se cache un emblématique "Dormition". "C'est un énorme travail pour fabriquer de la matière première et l'utiliser dans un autre projet", constate encore le collaborateur du musée. En effet, l'étonnement ne manque pas de poindre à l'idée que ces couches successives de matières et de couleurs avaient pour vocation de se trouver superposées et intégrées à des représentations figuratives: les figures à chapeau ou à nez "carotte". Dans ces lithographies obtenues par reports d'assemblages, "les calibrages sont d'une minutie incroyable. Tout est analysé et optimisé pour arriver au résultat souhaité". Toutefois, seule une quinzaine de compositions satisfera l'artiste, qui mettra un terme à sa démarche de collecte. Des décennies plus tard, la force de l'approche de Jean Dubuffet subsiste et lui confère un côté résolument contemporain. Durant l'exposition temporaire, des ateliers sont proposés et adaptés aux tranches d'âge des plus jeunes (maternelle, primaire, humanité). "Leurs mains les démangent. Alors, pour intégrer toutes les informations, nous faisons un atelier, par exemple la création à partir de frottages ou une initiation aux techniques", précise une animatrice.

Adepte de la spontanéité

A raison, Dubuffet est souvent associé à l'art brut. Il en donne lui-même la définition suivante: "Nous entendons par là des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de cultures artistiques, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écritures, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions." Dès 1945, l'artiste entreprend de collectionner des œuvres caractéristiques de cet art impulsif, qu'il léguera, ensuite, à la ville de Lausanne. Ce sont ainsi 5.000 pièces de 133 créateurs qui vont être cédées, avant d'être exposées au public, puisque la collection est accessible depuis 1976 au château de Beaulieu, devenu musée.

Avec cette dernière exposition au musée de la Gravure, Catherine de Braekeleer cède les rênes de la direction sur une mise en valeur de qualité.

Angélique TASIAUX

L'exposition consacrée à Jean Dubuffet a été prolongée jusqu'au 24 janvier 2021. Infos: Centre de la Gravure et de l'Image imprimée - www.centredelagravure.be – tél. 064 27 87 27.

 

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