Certains biblistes se sont mis en quête des vraies paroles du Christ. Bonne ou fausse bonne idée ? Comment ont-ils procédé ? Réponse avec Régis Burnet, professeur d’exégèse du Nouveau Testament.
Logia est la traduction grecque du terme biblique hébreu qui désigne les paroles de Dieu. Les exégètes utilisent ce terme pour désigner ce qui seraient les paroles exactes de Jésus, conservées par la tradition.
Déjà, vers 130, Papias, évêque d’Hiérapolis (dont on n’a conservé aucun écrit mais cité par l’historien Eusèbe de Césarée au IVe siècle), affirme que l’évangéliste Matthieu a arrangé les logia de Jésus pour que chacun puisse les interpréter selon ses capacités.
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A la recherche de la Source Q
Au XIXe siècle, des chercheurs ont constaté que toutes les paroles mentionnées dans l’évangile de Marc trouvent leur équivalence dans Luc et Matthieu, que ceux-ci reprennent identiquement des paroles du Christ, mais que certaines phrases leur sont également propres à chacun. Ils ont alors émis une hypothèse documentaire qui fait consensus depuis plus d’un siècle : Matthieu et Luc se sont inspirés de Marc (dont l’évangile est le plus ancien, autour de 60), de traditions littéraires qui leur sont propres (sondergut) mais aussi d’une compilation de paroles de Jésus, dénommée source Q (voir schéma).
Cette hypothèse a été confirmée par la découverte de l’évangile (apocryphe) de Thomas qui prend la forme d’un recueil de paroles attribuées à Jésus, précédées de la mention « Jésus a dit ». Sur la centaine de logia répertoriées, certaines présentent des similitudes troublantes avec les évangiles comme « Un prophète n’est pas reçu dans son village » (L 31) ou « Personne en effet n’allume une lampe et ne la met sous un boisseau ; […] mais on la met sur le lampadaire afin que quiconque entre et sort voie sa lumière. » (L 33) Il reste que cette fameuse source Q est un véritable fantôme. Personne ne l’a jamais eue en main. Laissant la porte ouverte à de nombreuses interprétations.
Les logia parlent essentiellement de l’urgence eschatologique
Dans les années 1970-80, certains ont essayé de mettre en forme cette source Q et de lui attribuer des caractéristiques propres. « Qui nous dit qu’il n’existe qu’une seule source Q ? qu’un seul recueil de paroles de Jésus ? » interroge Régis Burnet. Et d’aller encore plus loin : « ces listes sont-elles transmises uniquement par écrit ou aussi par tradition orale ?«
Si plusieurs livres ont été rédigés sur cette fameuse source, peut-on pour autant en tirer une nouvelle théologie ? Sachant qu’on ne trouve aucun logion messianique, où Jésus affirmerait qu’il est le Messie. « Faudrait-il en conclure que Jésus n’était pas le Messie ? » interpelle notre exégète.
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Beaucoup de logia évoquent par ailleurs la fin des temps. « Le jour du Seigneur viendra comme un voleur » est un logion que l’on retrouve dans toute la littérature, évangiles et autres traditions comprises. Les logia abordent donc essentiellement la question ou plutôt l’urgence eschatologique.
Et si les évangiles n’avaient pas été rédigés, si nous ne disposions que des logia, quel visage aurait le christianisme ? « Nous vivrions dans une religion de l’attente du Jugement Dernier, dans la vigilance permanente » décrit Régis Burnet.
Les logia ne peuvent être comprises seules
Si seules les logia nous étaient parvenues, nous serions privés de toute la narration qui contextualise les propos tenus par Jésus. » Nous ne saurions pas qui est Marie, qu’il existe des disciples, que Jésus est mort sur la croix, qu’il est ressuscité, qu’il a fait des miracles, … » énumère notre expert.
Le piège serait donc de considérer les logia comme les seuls écrits authentiques. Car leur étude soulève de nombreuses questions, et les interpréter de manière isolée s’avère complexe voire problématique. « Jésus serait alors un révolutionnaire contre César, obnubilé par la fin des temps, qui parle beaucoup et n’agit pas« .
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Les compilations de paroles n’étaient pas exclusivement réservées au Christ. Citons pour exemple le Manuel d’Epictète, philosophe stoïcien, qui est une collection de paroles compulsées par l’un de ses disciples. Il semble naturel de vouloir mettre par écrit les paroles exactes d’une personne, moins faciles à retenir que des histoires, estime Régis Burnet. Même si « nous devons imaginer qu’à côté des logia, devaient également exister des recueils d’histoires« .
La Bible n’est pas le récit de fables
« C’est comme pour un film, poursuit notre spécialiste, il faut un scénario, des répliques (ici, les logia) et des plans. Si vous vous contentez uniquement des répliques, ça ne marche pas. » Ainsi, sur la table de travail de Luc ou Matthieu, se trouvaient un recueil de logia et bien d’autres documents dans lesquels les évangélistes ont pu puiser.
La tentation serait grande aussi de penser que les logia sont les vraies paroles du Christ et que tout le reste serait dès lors pure invention. « Aujourd’hui, contrairement à ceux qui ont étudié en premier les logia, nous sommes beaucoup plus prudents » souligne le professeur.
Néanmoins, ces recherches exégétiques peuvent s’avérer utiles pour les croyants non avertis. « Cela prouve que les évangélistes n’ont pas fait n’importe quoi, que les évangiles se fondent sur différentes traditions bien fixées, que ses auteurs ont tenu une mémoire très fidèle des paroles de Jésus. Ce qui est raconté dans la Bible, ce ne sont pas juste des fables. » Contrairement à ce que voudraient nous faire croire certains détracteurs du christianisme.
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Sophie DELHALLE
💬 D’après l’évangile de Thomas, Jésus a dit que :
- Beaucoup de premiers seront derniers, et ils deviendront un seul être. (L 4)
- Le Royaume des cieux est comparable à un grain de moutarde. (L 20)
- Aime ton frère comme ton âme. (L 25)
- Heureux les pauvres, car le Royaume des cieux est à vous. (L 54)
- La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. (L 73)
- Cherchez et vous trouverez. (L 92)
- Donnez à César ce qui est à César, donnez à Dieu ce qui est à Dieu, et ce qui est à moi, donnez-le moi. (L 100)
📥 Lire le texte intégral de l’évangile de Thomas
