La symbolique des chiffres bibliques décryptée par Régis Burnet


Partager
La symbolique des chiffres bibliques décryptée par Régis Burnet
Dans la Bible, les chiffres mentionnés recouvrent souvent une symbolique plutôt simple. Gare donc à toute interprétation numérologique abusive! Getty images
Par Sophie Delhalle
Publié le
6 min

Certains pensent que les chiffres bibliques cachent des vérités. Peut-on se fier à ces interprétations numérologiques? Régis Burnet, professeur d'exégèse à l'UCLouvain, nous apporte son éclairage sur cette question.

La symbolique des chiffres dans la Bible décryptée par Régis Burnet
Dans la Bible, les chiffres mentionnés comportent souvent une symbolique plutôt simple. Gare donc à toute interprétation numérologique abusive! Getty images

"Les anciens nous ont laissé des manuels d'arithmologie, de divination, certains exégètes ont essayé de donner du sens aux chiffres bibliques" mais, au final, "on ne sait pas grand-chose" affirme d'emblée Régis Burnet, professeur d'exégèse à l'UCLouvain.

7 et 12 sont nos deux seules certitudes

"Les seuls chiffres dont on peut être sûr du symbolisme sont 7 et 12", poursuit notre spécialiste. Parmi les "tas de trucs fantaisistes" que l'on peut trouver sur le net concernant la numérologie biblique, les seuls chiffres dont le symbolisme est assuré sont liés aux savoirs et croyances astrologiques et astronomiques de l'époque babylonienne. "On essaie de faire rendre des comptes aux chiffres", dénonce Régis Burnet alors qu'à ce sujet, il faut bien admettre que "notre base de connaissances est très mince" voire inexistante.

7 est le chiffre par excellence du temps, du temps parfait.

Régis Burnet

Que sait-on avec certitude? "Les deux chiffres auxquels on peut attribuer un symbolisme assuré sont 7 et 12" insiste à nouveau le professeur. "7 est le chiffre de la semaine, le chiffre par excellence du temps, le temps parfait." Référence plus qu'évidente à la Création dans la Genèse. Un chiffre qui se décompose en 6+1 pour signifier l'accomplissement. D'où, à l'inverse, la connotation négative associée aux chiffres 6, symbole de l'imperfection et même du mal absolu quand il est triplé (666).

Quant au chiffre 12, il fait d'abord référence aux signes du Zodiac dans les traditions babylonienne et égyptienne. "Ce qui se voit dans le ciel se dit sur Terre" poursuit Régis Burnet. "Comme il y a 12 constellations zodiacales, il y aura 12 lieux sur Terre, donc douze tribus d'Israël, comme l'Egypte comptait 12 divisions administratives." 12 est donc le chiffre du peuple, du peuple dans sa complétude. "Tout le reste est supposition."

La symbolique des chiffres dans la Bible décryptée par Régis Burnet
Dans la Bible, les chiffres mentionnés recouvrent souvent une symbolique plutôt simple. Gare donc à toute interprétation numérologique abusive! CC-BY-Djampa

Le chiffre 12 permet aussi de comprendre la mention des 144 000 dans l'Apocalypse. 144 étant le carré de 12, il représente donc le peuple parfait. Et le 1000, en Grec, fonctionne comme un suffixe pour signifier beaucoup. 144 000 correspond donc au peuple innombrable voulu par Dieu, c'est le chiffre du peuple élu.

Lire aussi : « On ne dialogue pas avec les anges »

1,3 et 4 : unité, trinité, univers

Ce recours symbolique aux chiffres n'est donc pas spécifique aux textes bibliques, mais ressort d'une pratique ancestrale empruntée à d'autres traditions, les rédacteurs de la Bible ne se montrent donc pas particulièrement originaux. Ils se sont par ailleurs toujours méfié de la numérologie, de la magie, de l'astrologie, ...

Exception faite du livre de l'Apocalypse qui mentionne beaucoup de chiffres, mais dont le symbolisme est souvent naïf. " Ce qui est plutôt frappant et nouveau, souligne Régis Burnet, c'est l'utilisation de la notion de "demi" qui dit l'incomplétude. C'est une manière pour Jean de dire que le mal n'arrive pas à compléter son œuvre face à Dieu."

144 000 correspond au peuple innombrable voulu par Dieu, c'est le chiffre du peuple élu.

Régis Burnet

Ajoutons tout même à cette (très!) courte liste les chiffres 1, 3 et 4. Sans grande surprise, le chiffre 1 représente l'unité, la perfection, la divinité. Le 3 symbolise pour les chrétiens la Trinité, mais c'est un chiffre au symbolisme flottant, qu'on a parfois des difficultés à expliquer, reconnait Régis Burnet. Il est fréquemment associé aux évènements théophaniques, comme lorsque Dieu apparait à Moïse le troisième jour. Comme Jésus ressuscitera le troisième jour. Enfin, le chiffre 4, héritage grec plus tardif, correspond aux quatre éléments, chiffre de la Terre, de l'Univers.

Dieu seul détient le secret des nombres

La Bible comporte toutefois dans ses premiers livres un dénommé "Livre des Nombres". "Ce nom vient du grec arithmoi, et il fait référence au dénombrement du peuple. Mais dans la Bible hébraïque, on le nomme "Dans le désert" car il raconte l'errance du peuple élu de l'exode jusqu'à la Terre promise." Dans le premier chapitre, Dieu compte les tribus et d'ailleurs il est le seul à compter, précise notre exégète. "David et Salomon essaient également mais Dieu n'aime pas cela. Seul Dieu connait le nombre des fils d'Israël."

Pourquoi une telle méfiance divine? Parce que, "quand les hommes comptent, c'est généralement en vue de lever un impôt, donc de mettre la main sur quelque chose, et cela est très mal vu par Dieu." Compter, c'est s'accaparer. Voilà pourquoi Dieu seul a le secret des nombres.

Ce qui explique aussi d'ailleurs pourquoi l'évangéliste Luc choisit de dater la naissance de Jésus lors d'un recensement. C'est un procédé littéraire pour annoncer qu'une puissance néfaste est à l'œuvre.

Lire aussi : Des séminaires connectés pour approfondir sa connaissance de la Bible

Les chiffres bibliques ne cachent pas de vérité

Certains (pseudo-)spécialistes affirment que, derrière certains chiffres, se cachent des vérités codées. Or, dans une certaine mesure, "on peut faire dire tout et n'importe quoi" aux chiffres, nous met en garde Régis Burnet. Si en grec, aucune confusion n'est possible entre chiffres et mots, l'hébreu consonantique (sans voyelle écrite) est plus ambigu, certains chiffres pouvant être lus comme des mots. Mais ceux-là tiennent un rôle mystique, spirituel, ils ne sont pas là pour soi-disant cacher des vérités dans le texte. Retrouver le nom de Jésus par ce procédé partout dans la Bible relève donc de la pure fantaisie selon notre expert.

La symbolique des chiffres bibliques décryptée par Régis Burnet
Les différents manuscrits évoquant la pêche miraculeuse ne mentionnent pas le même nombre de poissons. Preuve que les rédacteurs ont hésité sur l'importance de la symbolique (ou pas) de ce chiffre. Tableau de Raphaël, 1515

Des chiffres au service de la musicalité des textes

Si les chiffres ne revêtent pas l'importance que certains ont voulu leur attribuer, l'arithmétique n'est pas complètement absente de la Bible. Mais elle est à chercher dans la musicalité poétique du texte. En effet, les écritures saintes se déploient avec une certaine régularité rythmique fondée sur le retour de séquences de vers (par exemple 4-3-4-3). Les chiffres n'ont alors pas de valeur spirituelle mais concourent à l'équilibre et à l'harmonie de l'ensemble. Rappelons qu'à l'époque, la tradition orale domine encore largement, d'où l'importance de la rythmique pour mémoriser les textes.

Lire aussi : De la Création à l’Apocalypse, « Explorer la Bible » en 8 étapes

Des significations à jamais perdues

Il y aussi des chiffres étonnants dont la signification restera probablement à jamais perdue. C'est le cas dans la pêche miraculeuse, où, par ailleurs, le nombre de poissons diffère selon les manuscrits. Preuve que les rédacteurs eux-mêmes ont hésité face au choix du nombre.

Certains chiffres ont également acquis un sens symbolique parce qu'ils font référence à des évènements bibliques, sachant que la mémoire occupe une place de prédilection dans le judaïsme. Ainsi, les 40 ans d'errance des Hébreux dans le désert se sont transformés en 40 jours d'épreuve pour le Christ dans le récit des tentations. Pourquoi 40? Rien ne permet d'expliquer ce choix. Mais le chiffre a désormais une portée symbolique en ce sens qu'il crée un pont entre deux évènements du récit biblique.

Sophie DELHALLE


Dans la même catégorie