Dans l’Ancien Testament, Joseph, vendu par ses frères, se retrouve en Egypte et devient l’interprète des songes de Pharaon. Un autre Joseph, le futur époux de Marie, reçoit la visite d’un ange pendant son sommeil pour lui demander de ne pas l’abandonner et d’accueillir l’enfant qu’elle porte. Mais tous les rêves bibliques ont-ils la même valeur? Deux experts nous éclairent.

« Si la Bible intègre les songes, c’est plus pour remettre en cause leur usage antique que pour délivrer de vraies révélations » estime Régis Burnet, professeur d’exégète à l’UCLouvain. Il nous éclaire donc dans un premier temps sur la nature et la fonction des rêves dans l’Antiquité.
Dans l’Ancien Testament, les rêves ont une valeur politique
« Ils ont une dimension clairement politique et demandent à être interprétés, par ceux qu’on nomme à l’époque onirologue ou oniromancien. » Prenons deux exemples bibliques – vétérotestamentaires – pour illustrer ce propos : Daniel et Nabuchodonosor (Livre de Daniel), Joseph et pharaon (Genèse).
Le colosse aux pieds d’argile
Dans le livre de Daniel, au chapitre 2, intervient un récit qui laissera une trace dans le langage populaire. En effet, le prophète est amené à interpréter un rêve du roi Nabuchodonosor, celui de la statue brisée ou « colosse aux pieds d’argile ». Daniel révèle au souverain que ce songe lui fait entrevoir l’avenir de son royaume, condamné à la destruction et à la division. Daniel insiste aussi sur le fait qu' »il y a, dans le ciel, un Dieu qui révèle les secrets ; et il a fait savoir au roi Nabuchodonosor ce qui doit arriver dans les temps à venir ».
Joseph et Pharaon
Dans la Genèse, dès avant son arrivée en Egypte, Joseph fait des songes lui annonçant sa destinée particulière, attisant la jalousie de ses frères, qui le vendent à des marchands. Ensuite, il se fera l’interprète des rêves de Pharaon et sera même nommé au poste d’intendant.
Quand pharaon fait sortir Joseph de prison pour lui demander d’interpréter un songe, celui-ci s’exclame : « Ce n’est pas moi ! c’est Dieu qui donnera une réponse favorable à Pharaon ». Beaucoup connaissent la suite et la signification des sept vaches grasses et des sept vaches maigres, objet du songe du souverain égyptien.

Dans le Nouveau Testament, le rêve est un procédé narratif
Le christianisme se détache de ce modèle antique totalement absent du Nouveau Testament. Le rêve n’est que ce qu’il est. Les songes religieux restent toutefois un moyen de communication de la divinité.
Le songe de Joseph, futur époux de Marie, permet de connaître la suite des évènements. Les rêves interviennent donc comme un procédé narratif pour faire avancer l’histoire, selon Régis Burnet. « Les songes aident également le lecteur à faire des liens [notamment entre l’Ancien et le Nouveau Testament]. Mais n’ont pas de rôle dans la Révélation. C’est par deux autres manières que Dieu s’adresse aux hommes: les prophètes et l’Esprit« . C’est peut-être pourquoi Jésus ne fait pas de songe. Mais prie beaucoup.
Les visions de l’apôtre Paul
Reste le cas singulier de l’apôtre Paul. Selon Nathalie Siffer*, professeur en sciences bibliques Nouveau Testament à l’Université de Strasbourg, Luc l’évangéliste présente rêves et visions dans un sens résolument positif en les considérant comme un support important de la révélation divine. Paul est le personnage qui bénéficie le plus d’expériences visionnaires**.
Songes et visions occupent ainsi une place importante dans l’œuvre lucanienne, en particulier dans le livre des Actes. Paul bénéficie de quatre expériences nocturnes qui marquent chacune un tournant décisif dans l’intrigue générale et l’activité missionnaire de l’apôtre en particulier :
- Vision d’un Macédonien à Troas : Ac 16, 9-10
- Vision du Seigneur à Corinthe : Ac 18, 9-10
- Vision encourageante du Seigneur à Jérusalem : Ac 23, 11
- Vision céleste en mer : Ac 27, 23-24
Ces quatre songes vont ainsi introduire le passage de la mission paulinienne en Europe, la fondation d’une nouvelle communauté à Corinthe, le témoignage de Paul devant les autorités religieuses de Jérusalem et enfin le voyage maritime vers Rome en vue de sa comparution devant l’empereur.
Mises en lien avec l’ouverture aux nations païennes et avec la progression de l’Évangile jusqu’à Rome, les quatre visions nocturnes de Paul sont étroitement associées à l’accomplissement du dessein salvifique de Dieu, selon l’analyse de Nathalie Siffer.
Sophie DELHALLE
*Nathalie Siffer, « Songes et visions nocturnes de Paul », Revue des sciences religieuses [En ligne], 90/2 | 2016, mis en ligne le 01 avril 2018, consulté le 01 février 2023. URL : http://journals.openedition.org/rsr/3225 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rsr.3225
**Notons que rêves et visions étaient deux phénomènes étroitement liés dans la pensée antique, la ligne de démarcation étant très difficile à tracer. Dans la littérature biblique, on constate par ailleurs l’interchangeabilité des deux termes.
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