Editorial de Pascal André, paru dans le « Dimanche Express » n°27 du 19 août 2012 :
Le 6 août dernier, la police allemande a évacué dans le calme le camp du mouvement anticapitaliste « Occupy Frankfurt », installé devant la Banque centrale européenne (BCE) depuis l’automne 2011. Un dénouement plutôt prévisible, tant il est difficile aujourd’hui de rester mobilisé sur une période aussi longue, surtout quand les revendications sont disparates et les cibles mal définies. Les autorités publiques le savent d’ailleurs très bien: face aux contestataires, il ne sert à rien de montrer les crocs; il suffit d’attendre que le temps fasse son œuvre. Ils finissent toujours par se lasser et abandonner le combat.
Le démantèlement des camps qui ont émergé un peu partout en Occident signifie-t-il pour autant la fin du mouvement des « Indignés »? Pas sûr. Ces milliers de personnes n’ont pas quitté leur confort, mis fin à des années d’indifférence et d’individualisme, et concerté leurs actions, pour arriver à un tel cul-de-sac. Ce serait désolant, surtout que la crise est loin d’être terminée. Le chômage continue de progresser dans plusieurs pays d’Europe; les plans d’austérité se succèdent en Grèce et en Espagne; et aux États-Unis, la dette souveraine reste un casse-tête économique.
Les conditions qui ont permis l’émergence des « Indignés » sont donc toujours là. Voilà pourquoi la disparition des tentes devant la BCE ne signifie en rien la fin de la réflexion ou de la mobilisation. Car, si les membres de ce mouvement n’ont pas pu atteindre leurs objectifs, ils ont au moins réussi à jouer le rôle d’aiguillon et à transmettre leur message. Leur désir de changement est aujourd’hui partagé par de nombreux citoyens, irrités eux aussi par le cynisme des marchés. Et il ne faudrait pas grand-chose pour que ceux-ci sortent à leur tour de leur réserve et passent à l’action.
Les responsables politiques ont donc intérêt à rester sur leurs gardes, car tant qu’ils ne joueront pas leur rôle, tant qu’ils s’abriteront derrière les marchés pour décider de l’avenir de leur pays, des mouvements sociaux continueront à voir le jour un peu partout. Ceux-ci ne représenteront toutefois une menace sérieuse pour eux que le jour où ils parviendront à dépasser le stade du slogan et proposeront des pistes de solution concrètes. Les médias et les élus, de droite comme de gauche, n’auront alors pas d’autre choix que d’écouter leurs revendications, d’en analyser la portée et le réalisme, et peut-être d’y donner suite. Ce qui ferait passer les contestataires du stade de l’indignation à celui du projet de société. Une évolution souhaitable, mais loin d’être acquise.