Lettre ouverte – “Soyez pleinement une petite église domestique à part entière”


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Lettre ouverte – “Soyez pleinement une petite église domestique à part entière”
Par La rédaction
Publié le
5 min

« Cesse de maudire l’obscurité. Allume un cierge ! »
(sagesse sri lankaise).

Aurore. Psalmodie. Intercession. Le lointain et le proche, la mort, la vie, les défunts et les saints. L’inquiétude des multitudes, des grands comme des petits. Du monde politique, des sportifs et de leurs clubs, des arts et des salles de grands événements, des compagnies aériennes et de tout le commerce rattaché aux aéroports… Sans parler de ceux qui sont « en première ligne », les hôpitaux, le personnel médical – médecins et infirmiers surchargés et trop peu nombreux, suite aussi aux défections dans leurs propres rangs à cause de la contagion, directement… Un monde et des mondes chancellent.

Les quatre, cinq grands fûts des hêtres devant ma fenêtre se dressent solennellement, immobiles. Écoutent la fin de la nuit et le bruit qui vient de la bête humaine, affairée comme d’habitude sur l’autoroute un peu plus haut, au Sud. Le vent, déchaîné pendant des heures au cours de la journée d’hier, s’est couché et se tait. À peine un souffle passe dans les buissons en contre-bas, provoquant une légère danse dans l’arbrisseau à trois mètres devant ma fenêtre. Le jour commence, calme et inquiet tout à la fois. Les écoles se vident deux jours plus tôt que prévu, car la bête sournoise continue de faire d’énormes ravages et plus on limite les contacts, moins on sollicite que se répande le virus redouté. Discipline sur fond d’angoisse plus ou moins avouée. L’ennemi est désormais partout.

L’apocalyptique est partout

J’arrive lentement à la fin de ma relecture du livre de l’Apocalypse. J’en arrive à me dire : l’apocalyptique est partout, aux États-Unis et en France, en Turquie et au Congo, en Asie – du Japon à la Corée, de la Corée à la Thaïlande, de Bangkok à la Chine ou en Inde… Où encore respirer en confiance quand on est Afghan, Libanais ou Syrien, Ivoirien ou Congolais ? Mais ces mondes secoués ont à l’intérieur même des îlots, des alcôves, des réseaux secrets où autre chose se vit tout de même. Il y a partout un « tout de même » si caractéristique de notre psalmodie soutenue. Des rebondissements de confiance et de solidarité, de sourire à travers les larmes, de « petite bonté » absolument gratuite qui bouleverse l’univers entier. Entretenir la culture du silence et traverser par le silence le tumultueux et chaotique, le bruyant et alarmant, pour rejoindre au fond de chacun de nous le peu qui est encore capable de sourire – cette aurore de haute humanité qu’on ne lit que dans la visage de l’autre humain d’en face. Revenir au sourire vrai, sans grimace ni rictus forcé. Revenir aux gestes simples qui disent le Don : la fraction du pain, le partage de la table ouverte à l’hôte de passage, le feu ou la lampe d’huile qui éclaire la pénombre et chasse la nuit totale. « Cesse de maudire l’obscurité. Allume un cierge ! » (sagesse sri lankaise).

La famille, le couple, constitue pleinement l’Église

Dans le gros Catéchisme de l’Église catholique on parle de mille et une choses. L’autre jour, j’ai fait cette découverte : dans le chapitre qui traite du sacrement du mariage, il y a un dernier paragraphe intitulé « De l’Église domestique ». On y souligne que la famille, le couple, la cellule minimale de deux personnes mariées, constitue pleinement l’Église. On y trouve ce que dans l’antiquité on appelait « une église domestique ». Et, dit-on encore, par la grâce du baptême, chaque baptisé – homme ou femme – est en réalité « prêtre », il ou elle a la dignité sacerdotale. Retenons ce point fermement.

Ailleurs, dans le livre des Actes des Apôtres, il est dit que les premiers membres du mouvement chrétien se réunissaient « en l’une ou l’autre maison » et qu’ils y pratiquaient « la fraction du pain ». Cette dernière expression est quelque peu codée. Elle signifie qu’en faisant cette « fraction » on se rappelait et actualisait le geste testamentaire de Jésus, la veille de sa mort. Il prit du pain et le partagea, comme il fit également aux disciples d’Emmaüs qui aussitôt le reconnurent ! Ce geste était recommandé explicitement par le Maître en personne : « Faites ceci en mémoire de moi ». Il a dit ailleurs : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu de vous », comme on a aussi conservé cette autre parole testamentaire : « Voici que je suis avec vous, tous les jours, jusqu’à la fin du monde ».

Si vous êtes seul, rappelez-vous la lecture des moines

Les églises sont fermées au culte et le dimanche et en semaine : plus de service dominical, plus d’eucharistie. C’est grave mais c’est peut-être l’occasion de revenir à ce que nos textes nous ont transmis : « dans l’une ou l’autre maison », et non pas dans le Temple, on faisait « la fraction du pain » (Ac 2,42s.). Prenez chaque dimanche, ou même chaque matin, le temps de vous recueillir à deux ou trois autour de son Nom. Si vous êtes seul, rappelez-vous la lecture des moines : « deux ou trois » veut dire : « le corps et l’âme », ou encore « l’esprit, l’âme et le corps ». Mettez-les à l’unisson par le recueillement, le silence, l’écoute de tout votre être. Sur votre téléphone ou iPod vous pouvez facilement demander « les lectures du jour ». Lisez cette Parole de Dieu, la même qui est offerte à toute communauté dans le monde entier, depuis le Vietnam jusqu’au Chili, du Congo au Canada ! Vous n’êtes plus seul. Lisez et retenez au moins un mot qui vous frappe, en vous interrogeant : « Qu’est-ce que le Seigneur tient à me dire aujourd’hui par sa parole ? » Puis en silence prenez un morceau de pain et faites-en la fraction et partagez. Restez en silence et rendez grâce en réalisant le Don au milieu de vous. « Je suis au milieu de vous ». Je suis l’Emmanuel de Dieu. Je vous accompagne et vous habite. « Si vous gardez ma parole, mon Père vous aimera et nous viendrons à vous et nous ferons chez vous notre demeure ».

Commencez ainsi votre journée, en action de grâces. Soyez pleinement « église », petite église domestique à part entière, grâce à votre baptême qui a fait de vous des prêtres, des prophètes et des rois. Annoncez ainsi, à même la vie quotidienne, la victoire du Christ ressuscité sur la mort et la venue de son Règne parmi nous au milieu de tout le reste, évoqué plus haut. Que ce simple geste à lui, posé au cœur de votre foyer, dans un climat de silence et de prière, renouvelle votre accès à la Source et introduise de la lumière dans la nuit de notre monde bouleversé.

Grande paix, malgré tant ! très cordialement,

Fr. Benoît Standaert , moine à l'abbaye bénédictine de Saint-André à Bruges

(Titre et intertitres sont de la rédaction)
Photo: AdobeStock

Catégorie : En dialogue

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