Se libérer du vain souci


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Se libérer du vain souci
Par Marthe MAHIEU
Publié le
3 min

L’Evangile des lys et des oiseaux se veut un peu provocante au premier abord. Mais en changeant de regard sur ce texte, il vous transforme. Une expérience vécue par Marthe Mahieu, lectrice de Dimanche, dont elle témoigne ici.

J’ai quatre-vingt-trois ans, une nombreuse famille qui s’élargit de partenaires et s’est augmentée récemment de quelques arrière-petits-enfants. C’est en somme une expérience étrange pour moi, d’émerveillement d’abord: j’avais oublié combien les nouveau-nés étaient petits, fragiles, avec dans le regard quelque chose d’un ailleurs récent qu’ils connaissent mieux que nous. Mais c’est aussi un épisode de retrait, où on laisse à nos enfants, nos anciens petits, prendre toute la place de grands-parents attentionnés.

En février dernier, j’ai été très malade. Urgences, hospitalisation... J’ai senti passer le vent du boulet, ou plutôt le frôlement de la mort prochaine. Après ça, je n’arrivais plus à être autre chose qu’inquiète, soucieuse, comme si une menace permanente pesait sur moi, et sur les miens. La pensée de "tout ce qui pouvait arriver de funeste" me hantait. Je dormais mal, j’étais comme en sursis. 

Un soir que je lisais l’Evangile dans l’espoir de sortir du noir, je suis tombée sur le fameux texte des oiseaux du ciel et des lys des champs. Et ça m’a fait râler. Notre Père du ciel les nourrit! Comment alors tant de gens meurent-ils de faim, à Gaza, au Soudan? Et d’ailleurs je n’ai pas envie d’être nourrie de graines crues et de vers de terre, comme les oiseaux du ciel… J’étais en colère. Si je ne m’occupais pas depuis si longtemps d’avoir des provisions en suffisance, pour nourrir tous les membres de la famille qui arrivent à l’improviste pour goûter ou prendre l’apéro, et qui ne refusent pas de rester souper, comment ferait-on? Les oiseaux du ciel, mon œil… Et si je meurs, qui s’en occupera? soufflait en douce cette petite voix sournoise qui habitait mon âme.

Métanoia

J’ai partagé ma colère avec une amie, une théologienne protestante. Elle m’a regardée de ses yeux clairs, en souriant, et a relu le texte avec moi. Et il s’est passé quelque chose comme une métanoia. J’ai compris que ce n’était pas le fait de prévoir ou de gérer avec prudence la nourriture ou le vêtement qui était en cause, mais le fait que cela colonise notre esprit au point de laisser toute la place à l’inquiétude, au vain souci. Jusqu’à ce point où il n’y a plus de place pour penser aux autres, à l’amour de Dieu, à la présence de l’Esprit Saint, à la beauté de la Création. J’étais en plein là-dedans. Cette femme rayonnante m’a libérée. De ce jour-là, j’ai commencé à vivre chaque jour comme un cadeau. Me rappeler que j’ai eu une belle et longue vie, j’ai élevé une nombreuse famille, j’ai fait le job. Tout ce qui m’arrive maintenant au quotidien est un don gratuit, un bonus, un surplus de vie. Rendons grâces!

Ça reste fragile. Il faut que je prie beaucoup: Seigneur, libère-moi du vain souci!

Nul ne peut, par son inquiétude, allonger sa vie d’une coudée. S’occuper d’abord de renforcer le Royaume, ici, maintenant. Le reste peut se faire avec légèreté, sans trop le ruminer!

Et comme le Chinois qui enlevait à la brouette la terre de la montagne qui faisait de l’ombre sur sa maison, je me dis: ce que je ne pourrai plus faire, mes fils le feront. 

Marthe MAHIEU

(titre, chapeau et intertitres de la rédaction)

Catégorie : Opinions

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