Les apôtres Pierre et Paul, fêtés ensemble chaque 29 juin, incarnent deux aspects complémentaires de l’Eglise : son ADN apostolique et la liberté évangélique. Revenons sur le parcours de ces deux figures fondatrices et quelques passages célèbres de leurs lettres.

Le premier est la pierre sur laquelle l’Eglise est construite, le deuxième l’évangélisateur des nations païennes. Le premier représente la pérennité de l’enseignement reçu des apôtres, la continuité historique entre le Christ et l’Eglise de chaque époque. Le deuxième, le dynamisme et la liberté de l’Evangile qui se répand jusqu’aux confins de la terre.
Ce n’est pas un hasard si Pierre et Paul, les deux piliers de l’Eglise de Rome, sont fêtés le même jour : ce qu’ils incarnent respectivement pour la vie des chrétiens est complémentaire, indissociable.
La « pierre » de l’Eglise et « l’insignifiant »
D’après les évangiles, le Christ lui-même a choisi Simon fils de Jonas, pour être le chef des apôtres et la « pierre » de l’Eglise – d’où son nouveau nom. Après la Pentecôte, il fut, avec saint Jacques « le Mineur » et saint Jean, l’un des responsables de la première communauté chrétienne, à Jérusalem.
Contraint plus tard de fuir vers Antioche pour échapper aux persécutions, il aboutit à Rome sous le règne de l’empereur Néron, dans les années 55-60. Il y mourut en martyr en 64, pense-t-on, crucifié la tête en bas sur la colline du Vatican.
Saul de Tarse, quant à lui, ne connut pas Jésus « de son vivant » en Palestine. Il fit une rencontre mystique avec le Christ ressuscité. Ce fut le début de de sa mission d’apôtre. A partir d’Antioche, il rayonna en Asie mineure et en Grèce, où annonça l’Evangile, fondit ou confirma différentes Eglise: en Galatie, à Corinthe, à Malte, à Chypre… Lui aussi finit par arriver à Rome, pour s’y défendre face à la justice romaine, à la suite d’une cabbale contre lui. C’est là qu’il prit le nom romain de « Paulus », qui signifie le « petit », le « faible », « ‘l’ insignifiant »… Il mourut décapité sur la route d’Ostie, vers l’an 67.
Un trésor de la foi chrétienne
Les Actes des apôtres témoignent de ce parcours, ainsi que les treize épîtres de Paul. Aujourd’hui, on considère sept d’entre elles comme authentiques, c’est-à-dire comme effectivement écrites par lui. Ces épîtres sont un trésor de la foi chrétienne, à plus d’un titre. Ecrites à partir des années 50, elles constituent la littérature chrétienne la plus ancienne.
On y voit se développer les premières réflexions théologiques, notamment les jalons de la christologie des siècles suivants. Mais ce qui ressort également de ces lettres, c’est que les premières communautés chrétiennes ont, dès leur naissance, été confrontées à de nombreuses et graves difficultés.
Pierre et Paul ont connu un contexte proche de la situation actuelle
A cet égard, le contexte des épîtres de Paul est très proche de la situation actuelle de l’Eglise dans nos régions ! Citons deux exemples. D’abord, l’intransigeance des chrétiens d’origine juive voulant imposer toutes la rigueur de la Loi de Moïse aux chrétiens issus du paganisme. Un débat qui rappelle certaines divergences actuelles entre « conservateurs » et « progressistes ». Mais surtout : ces « pagano-chrétiens » essaient de vivre leur foi dans une société multiculturelle et multiconvictionnelle, où se côtoient religions païennes traditionnelles, spiritualités orientales nouvelles, et courants philosophiques de toutes sortes. Pas facile pour eux de s’y retrouver ! Dans ses lettres, Paul tente de répondre aux questions et aux défis qui se posent.
C’est ce que font également les deux épîtres de saint Pierre. Celles-ci datent environ de l’an 100 pour la première, de l’an 125 pour la deuxième. Donc après la mort de Pierre. Elles reflètent néanmoins assez fidèlement la « théologie pétrinienne », car elles ont très probablement été rédigées par des disciples de l’apôtre.
En ce jour de fête des apôtres Pierre et Paul, laissons-nous interpeller par quelques passages, connus ou moins connus, de leurs lettres.
🎧 A écouter : L’apôtre Paul et le judaïsme (podcast)
« Il n’y a plus l’homme et la femme »
« Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ » (Ga 3, 8).

Ce célèbre verset de l’épître aux Galates s’inscrit dans le contexte d’une polémique qui a secoué la jeune Eglise, autour de l’an 50. Pour les chrétiens issus du judaïsme, ceux issus des nations païennes devaient être circoncis et soumis à la Loi de Moïse, tout comme eux. S’opposant à eux, Paul – pourtant Juif lui-même – affirme que ce n’est pas la Loi, mais la foi en Christ qui sauve.
Dans le Christ, toutes et tous sont fondamentalement égaux, à commencer par les Juifs et les païens. En Christ, les différences de genre, de mission, de statut social sont nivelées par le haut. Toutes et tous doivent vivre dans une même communion.
« Que les femmes se taisent dans les assemblées »
Pour notre époque, affirmer qu’il « n’y a plus l’homme et la femme » résonne de manière particulièrement forte. Par contraste, d’autres versets de Paul suscitent une réelle incompréhension chez nos contemporains occidentaux. Tel celui-ci : « que les femmes se taisent dans les assemblées : elles n’ont pas la permission de parler ; elles doivent rester soumises, comme dit aussi la loi » (1 Co14, 33b-34).
Comment comprendre cette différence ? Le contexte dans lequel les deux sont écrits peut l’expliquer en partie. D’un côté, il y a une conviction essentielle, de l’autre une considération d’organisation et de culture: dans l’Antiquité, les relations entre les hommes et les femmes, entre les catégories sociales sont fortement hiérarchisées. Saint Paul ne va pas jusqu’à interroger ces structures. Ce qui montre que l’inculturation de l’Evangile, dès le départ, ne se fait pas en un clin d’oeil !
« S’il me manque l’amour… »
« Quand je parlerais en langues, celle des hommes et celle des anges, s’il me manque l’amour, je suis un métal qui résonne, une cymbale retentissante. » (1 Co 13, 1) « Maintenant donc ces trois-là demeurent, la foi, l’espérance et l’amour, mais l’amour est le plus grand » (1 Co 13, 13).
L’hymne à l’amour, dans la lettre de Paul aux Corinthiens commence et se termine par ces deux versets. Le chapitre 13 qui le contient suit une description des différentes fonctions au sein de l’unique Corps du Christ. Le message est limpide : quelle que soit les qualités humaines et spirituelles, et les missions qui en découlent, elles n’ont de sens que par rapport à l’amour. Même la foi et l’espérance sont orientées vers l’amour, qui est leur sens dernier.
« Ce qui est folie dans le monde »
« Mais ce qui est folie dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages ; ce qui est faible dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre ce qui est fort ; ce qui dans le monde est vil et méprise, ce qui n’est pas, Dieu l’a choisi pour réduire à rien ce qui est, afin qu’aucune créature ne puisse s’enorgueillir devant Dieu. » (1 Co 1, 27-29)
Lorsqu’il écrit sa première lettre aux chrétiens de Corinthe (vers les années 55-56), ceux-ci rencontrent d’importantes difficultés. A l’époque, la ville est une métropole commerciale, avec tout ce qui la caractérise : un grand port, un mélange de populations, de classes sociales. Et donc aussi un foisonnement de religions et… des moeurs dissolues. Toutes situations qui affectent directement la jeune Eglise.
Face aux courants philosophiques très savants et aux spiritualités ésotériques, saint Paul rappelle que la sagesse et la force de Dieu ne sont pas celles des humains. Par la victoire de l’amour sur la Croix, Dieu manifeste que les systèmes de pensée les plus savants ne sont rien face à la sagesse de Dieu qui nous a été révélée en Christ. Idem de la réussite sociale.
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« Une sainte communauté sacerdotale »
« Approchez-vous de lui, pierre vivante, rejetée par les hommes mais choisie et précieuse devant Dieu. Vous-mêmes, comme des pierres vivantes, entrez dans la construction de la Maison habitée par l’Esprit, pour constituer une sainte communauté sacerdotale, pour offrir des sacrifices spirituels à Dieu par Jésus Christ. » (1 Pierre 2, 4-5)

Moins souvent lues au cours de nos eucharisties, les deux épîtres de saint Pierre contiennent pourtant quelques joyaux. Le verset cité en est un. Il est l’une des sources bibliques du « sacerdoce de tous les fidèles » mis en valeur par le concile Vatican II. Chaque baptisé(e) est prêtre de par son baptême, et donc appelé à créer des ponts entre Dieu et les humains.
Chacune et chacun, par notre vie et notre mission concrète, nous participons à la construction de l’Eglise comme communion universelle avec Dieu et entre nous. Ensemble, nous sommes la maison de Dieu, fondée sur le Christ et inspirée par l’unique Esprit.
« Justifier votre espérance »
« Soyez toujours prêts à justifier votre espérance devant ceux qui vous en demandent compte. Mais que ce soit avec douceur et respect, en ayant une bonne conscience, afin que, sur le point même où l’on vous calomnie, ceux qui décrient votre bonne conduite en Christ soient confondus. » (1 P 3, 15b-16)
Dans sa première lettre, Pierre partage dans quel état d’esprit doit être le « disciple-missionnaire » :
- être toujours prêt à témoigner de sa foi à celles et ceux qui se posent des questions à ce sujet.
- être dans une attitude de respect et de douceur dans notre témoignage.
- vivre en cohérence avec le message que nous portons.
L’idée de « justification » de notre espérance face aux non chrétiens est l’une des motivations-phare des premiers siècles de la théologie. Il s’agissait de montrer la cohérence de la foi aux penseurs et aux chercheurs de sens de tout bord. Un défi également très actuel !
Christophe HERINCKX
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Pourquoi fête-t-on Pierre et Paul ensemble ? La réponse sur KTO