François et le judaïsme: le Grand Rabbin de Bruxelles, Albert Guigui, nous livre sa réflexion


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François et le judaïsme: le Grand Rabbin de Bruxelles, Albert Guigui, nous livre sa réflexion
Par La rédaction
Publié le
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C'était un 13 mars. Il y a dix ans. François devenait le 266e pape. Quel regard portent les autres religions et convictions sur ce pontificat, et plus particulièrement sur l'évolution du dialogue interreligieux? Le Grand Rabbin de Bruxelles est le premier à nous partager ses réflexions.

Le pape François devant le mur des Lamentations à Jérusalem, en mai 2014 (c) VaticanNews

Dix ans se sont écoulés depuis l’élection du pape François à la tête de l’Eglise catholique. Dix ans au cours desquels le Souverain Pontife n’a cessé de prôner et de renforcer l’amitié judéo-chrétienne. Le pape François a ainsi suivi la voie tracée par ses prédécesseurs le pape Jean Paul II et le pape Benoit XVI. Comme eux, il s’est rendu en Israël. Pour sa part, en 2014, puis à Auschwitz en juillet 2016.

Une amitié de longue date

En fait, l’amitié entre le pape François et les juifs ne date pas d’aujourd’hui. L'étroite amitié qu'il a entretenu avec le rabbin argentin Abraham Skorka lui a permis d'approfondir durant deux ans et demi le judaïsme à travers leur dialogue sur la sagesse judéo-chrétienne. Leurs conversations ont même fait l'objet d'un programme télévisé de trente émissions. Ils ont également publié un livre sur les questions de société. Ainsi, la sagesse, l'amitié et l'humilité qui caractérisent le pape François ont, durant cette décennie, contribué à faire progresser l’amitié et le dialogue avec le judaïsme dans tous les domaines sensibles.

Lutte contre l’antisémitisme

Le 20 avril 2015, le pape François a reçu au Vatican une délégation de la Conférence des Rabbins européens. J’ai eu, à cette occasion, la possibilité de le voir de près et de l’entendre. Tel un jonc qui plie mais ne rompt pas, le Pape m’a semblé ce jour-là profondément humaniste et tellement humain. Au cours de cette entrevue, il a commencé par ce qui lui semblait être la chose la plus importante pour nous : condamner l’antisémitisme de façon catégorique. « Chaque Chrétien, a rappelé le Souverain Pontife, doit condamner fermement toute forme d’antisémitisme et montrer sa solidarité avec le peuple juif », reprenant ainsi l'un des points forts de la déclaration Nostra Aetate.

Ce thème, il le reprendra souvent et notamment dans une allocution adressée à une délégation des Juifs des Montagnes, une communauté présente dans le Caucase. « Comme je l’ai souvent répété, un chrétien ne peut pas être un antisémite, nous partageons les mêmes racines. Ce serait une contradiction de foi et de vie. Nous sommes appelés à œuvrer ensemble pour s’assurer que l’antisémitisme soit banni de la communauté humaine. »

Ainsi, au fil de son pontificat, le pape François a souvent observé qu'un chrétien par nature ne pouvait être antisémite « parce que le christianisme a des racines juives ». « Si un chrétien était antisémite, il couperait la branche sur laquelle il est assis, renoncerait à son identité originelle, se déracinerait et flotterait dans un espace indéfini... » Reprenant ce qu’il avait déclaré le 28 octobre dernier pour les 50 ans de Nostra Aetate, le pape a résumé sa pensée : « Oui à la redécouverte de nos racines juives, non à toute forme d’antisémitisme. Il faut condamner toute injure, toute discrimination et toute persécution qui en dérivent ! »

La Shoah enseigne la vigilance

Si le pape François condamne avec force l’antisémitisme et la haine de l’autre, c’est parce qu’il est conscient des conséquences terribles causées par ces fléaux au peuple juif en particulier et à l’humanité en général. Rendant hommage aux six millions de victimes de la Shoah, le pape soulignait que le passé devait nous servir de leçon pour le présent et le futur. « La Shoah nous enseigne, disait-il, qu’il faut toujours rester extrêmement vigilant pour pouvoir intervenir immédiatement pour défendre la dignité humaine et la paix ». « L’une des leçons de la Shoah est l’obligation, tant pour les Juifs que pour les non-Juifs, de lutter contre l’antisémitisme en particulier, surtout à la lumière de l’antisémitisme croissant. Ces leçons doivent être exprimées à la fois dans les domaines éducatif et juridique de toutes les nations, sans compromis », proclame-t-il .

« Nos frères aînés dans la foi »

Lors de sa visite à la grande Synagogue de Rome le dimanche 17 janvier 2016, le pape a rappelé : « Nous appartenons tous à une unique famille humaine », celle de Dieu. Ensemble, juifs et catholiques, nous avons « des liens si particuliers », « inséparables ».  « En raison des racines juives du christianisme, nous devons nous sentir frères, unis par le même Dieu, dotés d’un riche patrimoine spirituel commun ». Ainsi, cinquante ans après la déclaration de Nostra Aetate, qui a rendu possible un dialogue systématique entre l’Église catholique et la Synagogue, le pape réaffirmait ainsi les racines juives du christianisme et sa condamnation de toute forme d’antisémitisme. 

« Les grands défis du monde »

Face à la tendance de la sécularisation des sociétés qu'il perçoit, le pape a estimé lors de sa rencontre avec les grands rabbins d’Europe, que « nous courons le risque de vivre comme si Dieu n'existait pas. [Or,] il est si important, au contraire, de se rappeler que notre vie est un don de Dieu, et que nous devons avoir confiance en Dieu et nous tourner toujours vers lui ».

« Les Juifs et les Chrétiens ont la bénédiction, mais aussi la responsabilité d'aider à préserver le sens religieux des hommes et des femmes d'aujourd'hui et de notre société par notre témoignage », a-t-il également déclaré.  Il a notamment demandé lors de cette rencontre à « ne pas perdre de vue les grands défis auquel le monde aujourd’hui se trouve confronté ». Un nouveau champ de dialogue sur des thèmes chers au Pape, qui, dans ses relations avec les autres religions, invite toujours celles-ci à travailler ensemble, à tous niveaux, sur des questions concrètes de société.

Enfin, dans son discours à la synagogue de Rome, l’auteur de l’encyclique Laudato Si a ainsi cité « l’écologie intégrale » : « Comme chrétiens et juifs, nous pouvons et devons offrir à l’humanité entière le message de la Bible sur le soin de la création. »

Aux sources du judaïsme avec le Grand Rabbin Albert Guigui
Le Grand Rabbin Albert Guigui (DR)

Au nom de la vérité

Proche des fidèles, profondément humaniste et tellement humain, le Pape François semble capable de bousculer les consciences et les structures. Il semble être pétri d'un souci permanent de recherche de vérité. La sagesse, l'amitié et l'humilité qui caractérisent le pape François vont certainement contribuer à faire progresser encore et encore le dialogue avec le judaïsme.

Albert Guigui, Grand Rabbin de Bruxelles

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Catégorie : Eglise monde

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