Il y a dix ans, François devenait le 266e pape. Quel regard portent les autres religions/convictions sur ce pontificat, et plus particulièrement sur l’évolution du dialogue interreligieux? Mehmet Üstün, président de l’Exécutif des Musulmans, clôture notre série.

Le 22 mars 2013, donc à peine dix jours après avoir accédé à la papauté, François a déclaré: “Il est important d’intensifier le dialogue entre les différentes religions, et je pense en particulier au dialogue avec l’Islam. Lors de la messe marquant le début de mon ministère, j’ai beaucoup apprécié la présence de nombreux responsables civils et religieux du monde islamique.”
Adorer le même Dieu unique et miséricordieux
L’engagement du pape auprès des musulmans est devenu l’une des caractéristiques de son pontificat.
Au cours de la dernière décennie, le pape a effectué des dizaines de visites dans des communautés musulmanes et des pays à majorité musulmane. Il a tissé des liens avec des dirigeants et des croyants ordinaires, et il a attiré à plusieurs reprises l’attention sur les nombreuses richesses de notre tradition religieuse.
Que ce soit dans la République centrafricaine, au Bangladesh, ou en Turquie (plus spécifiquement dans la Mosquée bleue d’Istanbul), dans chacun de ces moments de prière ensemble avec des musulmans, le pape François a mis en pratique l’enseignement de l’Église – affirmé lors du concile Vatican II et repris dans le catéchisme – selon lequel les musulmans « adorent avec nous le Dieu unique et miséricordieux ».
Des frontières poreuses entre islam et christianisme
Bien qu’il y ait évidemment des différences doctrinales entre ce que les chrétiens et les musulmans professent au sujet de Dieu, cela ne nous empêche pas de reconnaître les similitudes que nous avons ou de nous rassembler, entre autres pour prier ensemble.
Dans sa publication Laudato Si de 2015, le Pape a cité Ali al-Khawas, un poète musulman qui a écrit au XVIe siècle qu’il percevait Dieu lorsque « le vent souffle, … les mouches bourdonnent, les portes grincent, les oiseaux chantent, ou dans le son des cordes ou des flûtes, les soupirs des malades, les gémissements des affligés« . Le fait qu’un texte religieux non chrétien ait été cité dans un document d’enseignement officiel catholique est évidemment très important dans l’histoire de l’Église catholique.
Egalement, dans son encyclique Fratelli Tutti en 2020, François écrit qu’il a été « stimulé » pour écrire à travers son amitié avec le grand imam Ahmed al-Tayeb, le chef d’Al-Azhar, l’université et mosquée islamique sunnite bien connue en Égypte.
Tous ces éléments démontrent que les frontières entre nos communautés religieuses sont plus poreuses que nous ne le pensons souvent. La fraternité, la solidarité et la charité (dans notre religion exprimé, entre autres, par le zakat) et la volonté de vouloir répandre le bien ne sont que quelques exemples qui nous unissent.
François a permis de nuancer le discours mondial sur l’islam
Lors de son voyage en Irak en 2021, le pape François a rendu visite à un autre grand dirigeant musulman, cette fois-ci de la branche chiite de l’islam: le grand ayatollah Ali al-Sistani. Pour le pape, ces rencontres interconfessionnelles ne portent pas que sur de grandes idées théologiques, mais plutôt sur les personnes humaines que nous rencontrons et sur le partage de nos joies et nos peines.
Lorsqu’il s’agit de condamner le fanatisme religieux et les persécutions, le pape François fait preuve d’une cohérence morale rare parmi les dirigeants mondiaux. Tout comme il prend la défense des chrétiens persécutés, il défend également les musulmans face à l’islamophobie. En effet, le pape François a appelé à plusieurs reprises les pays occidentaux à mettre de côté les stéréotypes antimusulmans, et nombre de ses commentaires publics ont apporté une nuance très utile au discours mondial dominant sur l’islam.

Tous frères pour construire la paix
L’attention particulière que porte le pape François au dialogue avec les musulmans est une conséquence naturelle de son engagement plus large en faveur de la rencontre avec tous les peuples, en particulier ceux qui sont les plus marginalisés.
En prenant en compte les difficultés et défis auxquelles les musulmans en Belgique font face, il est clair que les mots du pape François donnent l’espoir d’une société plus juste, plus solidaire, plus égalitaire. Cela nous inspire à imaginer un vivre-ensemble où le dialogue est sincère et profond, et ou le désir de cohabiter de manière positive peut se transformer en réalité.
Sa proposition de marcher côte à côte, « tous frères », afin d’être des artisans concrets de paix et de justice, au-delà des différences et dans le respect des identités respectives: la communauté musulmane en Belgique ne peut que l’apprécier et l’encourager dans un esprit d’ouverture et de dialogue interreligieux continu.
Mehmet Üstün, président de l’Exécutif des Musulmans
(titre et intertitres de CathoBel)
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