François et le bouddhisme : le président de l’Union bouddhique belge Carlo Luyckx nous donne son regard


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François et le bouddhisme : le président de l’Union bouddhique belge Carlo Luyckx nous donne son regard
Par La rédaction
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Il y a dix ans, François devenait le 266e pape. Quel regard portent les autres religions/convictions sur ce pontificat, et plus particulièrement sur l'évolution du dialogue interreligieux? Le Président de l'Union bouddhiste Belge nous partage à son tour ses réflexions.

Le 28 mai 2022, le pape François recevait une délégation bouddhiste de Mongolie au Vatican. (c) VaticanNews

«Il est urgent de promouvoir une culture de la paix et de la non-violence et de travailler à cela à travers le dialogue à tous les niveaux». C’est ce que le Pape François affirma lorsqu’il reçut au Vatican une délégation bouddhiste de Mongolie le 28 mai 2022. Il précisa que la violence doit être rejetée sous toutes ses formes, y compris celle contre l’environnement.

Le Pape rappela aussi que «Jésus et Bouddha ont été des constructeurs de paix et des promoteurs de la non-violence»,  indiquant que Bouddha enseigna que «la victoire laisse derrière elle une trainée de haine parce que le vaincu souffre. Abandonne toute pensée de victoire et de défaite et vis dans la paix et dans la joie». Le Pape François a dans ces déclarations pointé deux sujets où bouddhisme et christianisme partagent les mêmes préoccupations : la paix dans le monde et la protection de l’environnement.

Construire la paix avec saint François et Bouddha

Pour ce qui concerne la paix et la non-violence, il est opportun de reprendre les paroles exprimées par le souverain pontife devant le Conseil des moines bouddhistes de la Sangha lors de sa visite au Myanmar en novembre 2017, à un moment où le manque de respect des droits humains et l’utilisation de la violence par l’armée contre la minorité musulmane Rohingya inquiéta au plus haut point la communauté internationale.

Les dirigeants militaires, les mêmes qui le 1er février 2021 renversèrent le gouvernement civil d’Aung Sang Suu Kyi après sa victoire électorale écrasante, avaient réussi même avant 2017 à manipuler une minorité de moines bouddhistes pour soutenir leur répression des Rohingyas. Il est à remarquer que ces moines extrémistes, en incitant à la haine et à la violence, jetèrent non seulement  l’opprobre sur toute la communauté bouddhiste, mais brisèrent aussi leurs vœux monastiques et ne pouvaient donc plus revendiquer le statut de moine.

Sans citer explicitement cette répression, le Pape François prononça les paroles de sagesse suivantes : « Il est nécessaire de dépasser toutes les formes d’incompréhension, d’intolérance, de préjugé et de haine. Comment pouvons-nous le faire? Les paroles du Bouddha offrent à chacun de nous un guide : «Élimine la colère avec l’absence de colère, vaincs le méchant avec la bonté, défais l’avare avec la générosité, vaincs le menteur avec la vérité» (Dhammapada, XVII, 223). La prière attribuée à Saint François d’Assise exprime des sentiments semblables : «Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix. Là où est la haine que je porte l’amour, là où est l’offense que je porte le pardon... Là où sont les ténèbres que je porte la lumière, et là où est la tristesse que je porte la joie ».

Il est important de savoir que déjà en décembre 2012, les principaux leaders des différentes traditions bouddhistes, dont le Dalaï Lama et Thich Nhat Hanh, affirmaient dans leur déclaration commune adressée aux bouddhistes birmans : « Nous souhaitons réaffirmer au monde et vous inciter à mettre en pratique les principes bouddhiques les plus fondamentaux de non-violence, de respect mutuel et de compassion.

Le 11 septembre 2017, le Dalaï Lama lui-même répliqua aux journalistes qui lui demandèrent sa position sur la situation au Myanmar : « Ces personnes qui harcèlent certains musulmans devraient se souvenir de Bouddha. Il aiderait certainement ces pauvres musulmans. C'est ce que je ressens encore. C'est très triste. »  

Chrétiens et bouddhistes unis sur la question écologique

La deuxième préoccupation commune au pape François et aux bouddhistes fut abordé notamment quand le 19 janvier 2023 une délégation bouddhiste cambodgienne fut reçue au Vatican : « À l'heure où la famille humaine et notre planète sont confrontées à de graves menaces, c'est un signe positif de la sensibilité et de la préoccupation croissantes pour le bien-être de la Terre, notre maison commune, et pour les importantes contributions que, inspirés par les croyances religieuses et les traditions spirituelles, vous pouvez offrir à votre noble pays dans son parcours de guérison sociale et de reconstruction économique après les crises sociopolitiques des dernières décennies », a expliqué le Pape à ses visiteurs.

Il a ensuite rappelé combien est nécessaire une « prise de conscience de la fragilité radicale de nos contextes environnementaux», ainsi que la recherche de «solutions intégrées fondées sur le respect de l'interdépendance fondamentale entre la famille humaine et la nature ».

Le respect de l’environnement est un thème fondamental dans la pensée bouddhiste, pour laquelle l’être humain n’est nullement le centre de l’univers mais fait simplement partie de la nature au même titre que tous les êtres sensibles tels que les animaux. C'est pourquoi les bouddhistes se réjouissent du fait qu’en rédigeant l’encyclique Laudato Si’, le pape François a fait de l’écologie l’un des sujets centraux de son pontificat, au nom du respect de la « maison commune » qu’est la planète.

Rendez-vous manqué avec le Dalaï Lama

La seule chose qu’en tant que bouddhiste je regrette des dix ans de pontificat est que le pape François et le Dalaï Lama n’ont pas eu la possibilité de se rencontrer. À la différence de l’église catholique, le bouddhisme ne connait pas une autorité spirituelle pyramidale et le Dalaï Lama n’est aucunement une sorte de pape bouddhiste. Néanmoins, de par le fait qu’il ait reçu en 1989 le prix Nobel de la paix « pour sa lutte non-violente pour la libération du Tibet, basée sur la tolérance et le respect mutuel », et qu’il est la première figure associée au bouddhisme dans l’opinion publique mondiale, sa rencontre avec le souverain pontife catholique aurait été symbole d’une reconnaissance mutuelle entre deux parmi les plus grandes traditions de sagesse.

C’est pour des raisons politiques et stratégiques liées à la situation de la minorité catholique en Chine que le pape François n’a pas pu recevoir le Dalaï Lama lors de son passage à Rome en décembre 2014.

Le dialogue discret entre Rome et Beijing concernant la nomination des évêques que la Chine voulait contrôler risquait d’être rompu. L’audience avec le pape « n’a pas été possible parce que cela pourrait créer des inconvénients », a reconnu lui-même le Dala ïLama, qui comprend mieux que personne.

Les deux leaders spirituels ont à cette occasion chacun réitéré publiquement l’admiration qu’ils avaient l’un pour l’autre. Il est néanmoins à regretter que jamais le Dala ïLama n’ait été reçu de manière officielle au Vatican, et que les rencontres avec Paul VI en 1973, avec Jean-Paul II en 1996 et en 2003 et avec Benoît XVI en 2006 ont toujours été qualifiées comme « privées » et non mentionnées sur le bulletin quotidien de la salle de presse du Saint-Siège, toujours pour ne pas froisser la Chine.

Carlo Luyckx, président de l’Union Bouddhiste de Belgique

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Catégorie : Eglise monde

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