Il y a dix ans, François devenait le 266e pape. Quel regard portent les autres religions/convictions sur ce pontificat, et plus particulièrement sur l’évolution du dialogue interreligieux? Higoumène Guy (Fontaine) nous partage à son tour sa vision de dix années de rapports entre François et les Eglises orthodoxes.

Lorsqu’il s’est présenté comme le successeur de l’évêque de Rome, il a donné espoir aux tenants de l’œcuménisme. La personnalité et le charisme particulier du pape François ont donné à penser que désormais les choses ne seraient plus jamais les mêmes. De fait, François s’est engagé sur le long chemin du retour à l’unité. Il s’est trouvé un compagnon de route en la personne du patriarche Bartholomé avec qui s’est noué un dialogue privilégié.
Les relations entre le locataire du Vatican et l’occupant du Phanar ont en effet pris un tour d’amitié fraternelle riche en rencontres et événements. Mais cette image ne doit pas cacher le tableau beaucoup moins enthousiasmant des relations entre Rome et l’Eglise orthodoxe, ou plus exactement, les Eglises orthodoxes.
Entre frères … et lointains cousins
L’archevêque Job, représentant personnel du patriarche Bartholomé auprès du Conseil œcuménique des Eglises (COE) m’explique : « les relations entre le pape et le patriarche œcuménique sont fraternelles : ils s’appellent mutuellement frères. Cela dérive du fait que les Églises de Rome et Constantinople se qualifient d’Eglises sœurs depuis l’époque du patriarche Athenagoras ».
Et de rappeler deux événements qui ont marqué le début de ce millénaire : leur pèlerinage commun à Jérusalem en 2014, le don des reliques de St Pierre à l’Eglise de Constantinople en 2019 et puis les visites du pape François en Géorgie, Bulgarie, Roumanie, Grèce, Chypre. Enfin, last but not least, le jour de la saint André, il y a des échanges épistolaires et des représentants catholiques présents aux célébrations. L’apôtre André est le saint patron du patriarcat œcuménique et sa mémoire est célébrée le 30 novembre.
Ces manifestations que l’on qualifie d’œcuméniques, semblent avant tout être l’affaire de deux hommes et, côté orthodoxe, elles ne font pas l’unanimité. Interrogé à l’occasion d’une vidéoconférence, un moine du Mont Athos a botté en touche : « Tout ça, ce sont des affaires politiques ». De toute façon sur la Sainte Montagne, on a tendance à considérer toujours les catholiques comme des schismatiques. À Moscou, on penserait plutôt que la démarche du patriarche œcuménique serait d’importer la structure catholique : il se verrait bien pape de l’orthodoxie.
Après la chute de Constantinople (29 mai 1453), les Russes se sont proclamés nouvelle Rome et ils pensent aujourd’hui être les derniers défenseurs de la vraie foi face à un Occident dépravé. Cela n’exclut pas des contacts et même des rencontres. La plus spectaculaire est sans conteste ce rendez-vous en terrain neutre dans un salon de l’aéroport de la Havane entre le pape François et le patriarche Kirill. Pour la première fois, ce 12 février 2016, un Pape rencontrait un Patriarche de Moscou.
D’autres rencontres, plus discrètes cette fois mais peut-être plus productives, ont eu lieu ; par exemple le métropolite Hilarion lorsqu’il était président du département pour les relations extérieures du patriarcat de Moscou, a été reçu plusieurs fois au Vatican pour des audiences privées avec le pape. Des rencontres qui s’inscrivaient dans le cadre d’un renforcement des liens entre le patriarcat de Moscou et le Vatican. On y parlait d’agir conjointement pour défendre les valeurs chrétiennes traditionnelles mais aussi d’un projet de visite du pape François dans la capitale russe. « Je suis disposé à me rendre à Moscou, avait déclaré le pape François dans l’avion de retour d’un voyage à Athènes, ma rencontre avec le patriarche Kirill est à un horizon proche ». Ce serait une première historique : aucun pape ne s’est encore rendu à Moscou.
Puis vint « la guerre » …
L’opération militaire spéciale en Ukraine décidée par Vladimir Poutine a évidemment tout bousculé.
Pour les orthodoxes, il y a même un événement avant-coureur mais peut-être pas étranger à l’évolution de la situation telle qu’on la connaît aujourd’hui : poussé par les Américains dit-on, le patriarche de Constantinople a accordé « l’autocéphalie » à un petit groupe orthodoxe schismatique en Ukraine. Seulement deux Eglises orthodoxes ont soutenu Bartholomé tandis que le Saint synode de l’Eglise de Moscou décidait de rompre la communion avec le patriarcat œcuménique.
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À Rome, les commentaires sont catégoriques ou nuancés : pour le Cardinal Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, « le fait que le patriarche Cyrille de Moscou légitime la guerre brutale en Ukraine pour des raisons pseudo-religieuses est une hérésie ». Engagé dans le rapprochement historique avec le patriarcat de Moscou, le souverain pontife lui, a appelé à l’arrêt de la « guerre », mais n’a pas formellement condamné l’invasion russe. Mais, me confie l’archevêque Job, lors d’une rencontre par Zoom l’an dernier, le pape a qualifié le patriarche Cyrille « d’enfant de chœur de Poutine ». Autant dire que les relations sont en berne.
Et demain ?

Demain est évidemment une figure de style. Si l’on veut des rapprochements vraiment œcuméniques, il faudra d’abord que les Eglises orthodoxes se guérissent des fractures et des différends. Peut-être aussi se mettre d’accord sur ce que l’on entend par œcuménisme : pour le patriarcat de Constantinople, c’est un retour à l’intercommunion, pour le patriarcat de Moscou, c’est l’établissement d’un front commun contre l’islam et la laïcité.
Et puis si on veut changer quelque chose, et surtout prendre une décision aussi importante, il faudra un concile panorthodoxe (on ne peut pas parler de concile œcuménique puisque l’église de Rome ne serait pas conviée). Le dernier concile panorthodoxe s’est réuni en Crète en 2016 sans le patriarcat de Moscou. Le dernier concile œcuménique reconnu remonte à … 787. Ça nous laisse de la marge.
Higoumène Guy (Fontaine)
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