Par trois fois, Jésus est tombé en portant sa lourde croix. Il a souffert jusqu’au bout, pour nous. Et aussi pour notre humanité (dans tous les sens du terme). Des femmes et des hommes endurent, eux aussi, de véritables chemins de croix dans leur vie. Pour Amina Atrassi, les épreuves vécues lui ont pourtant permis de « re-naître ». Dans la prolongation du dossier paru dans Dimanche n°14 (De l’épreuve à la Résurrection), Cathobel vous invite ce vendredi à découvrir la puissance de vie à travers les épreuves.
A 27 ans, Amina réussit un pari que d’aucun croyait impossible: malgré sa dystonie nerveuse très invalidante qui l’empêche de marcher et de s’exprimer facilement, elle étudie à l’université. Cette jeune femme est courageuse, certainement, et a toujours cru en ses rêves, se battant pour les réaliser, envers et contre tout. « A la base, dit-elle, c’est une erreur médicale; du coup on ne savait pas trop comment j’allais évoluer. Les symptômes sont devenus plus éprouvants à l’adolescence. Vers 13-14 ans, c’est devenu très invalidant. Vers 16 ans, c’est devenu très éprouvant et c’est là que j’ai commencé mon combat. »
Son parcours de vie n’a donc pas été simple. Trop souvent, des gens bien intentionnés – des médecins, des professionnels de la santé – lui ont dit d’abandonner: jamais elle n’arriverait ni à parler, ni à marcher ni à obtenir un diplôme. Et pourtant, à présent, elle étudie le journalisme à l’UCLouvain. « Mon rêve est devenu réalité. Je veux devenir journaliste pour être la porte-parole des laissés pour compte de la société. Je ne veux pas travailler dans le journalisme traditionnel mais plus dans la sensibilisation et dans l’humain. Je veux faire en sorte que la société évolue pour plus de tolérance et d’inclusion des personnes minoritaires. »
La foi en un meilleur lendemain
Pour en arriver là, Amina a dû se battre. Où puise-t-elle cette foi ou cette force qui lui permet de défier tous les pronostics négatifs? « Ma première force a été l’espoir d’un meilleur lendemain. Pendant mon enfance, j’ai fait un déni au point de ne pas voir le négatif. Je ne me sentais pas handicapée. Je me suis créé un monde à moi et j’ai toujours pensé que cela allait s’arranger avec l’âge, que c’était juste une question de temps. Et ce, même si je ne marchais pas et que je voyais que je n’évoluais pas comme les autres. Mais j’ai toujours gardé espoir. Les médecins ont essayé de me dire que la situation était plus dramatique que ce que je pensais, mais moi je ne me sentais pas concernée par les pronostics. »
Souvent tombée, elle s’est toujours relevée
A certains moments pourtant, le découragement et même la mort l’ont guettée. « Quand j’ai commencé mon combat, quand je suis sortie de mon déni, j’ai pris les choses en main. Evidemment, les choses n’ont pas toujours été faciles et la réalité m’a fait comprendre que mes rêves avaient un prix. Du coup, il y a eu des hauts et des bas. Je suis tombée et je me suis toujours relevée. Parfois je suis tombée très bas. J’ai toujours trouvé une issue pour me relever et je n’ai jamais baissé les bras. »
Dans un témoignage récent réalisé par la RTBF, Amina explique qu’elle n’est pas « la femme qu’on a imaginé ». De fait, le directeur de son école ne pensait même pas qu’elle obtiendrait son diplôme secondaire. « Quand je refais un peu le bilan, je m’aperçois que je suis tout sauf ce que les médecins, les professionnels ont imaginé. J’ai toujours voulu me battre pour mes rêves, au plus profond de moi, malgré mon handicap. J’ai toujours réclamé que j’étais d’abord un être avant d’être une personne handicapée. On ne m’imaginait pas à l’université, ni que j’allais retrouver une forme physique comme aujourd’hui ni que j’allais parler. On n’imaginait pas beaucoup de choses sur moi. Je me suis battue pour être là où je suis aujourd’hui. Cela ne s’est pas fait du jour au lendemain. »
Découvrir la vie
Depuis qu’elle étudie à l’UCLouvain, Amina – qui a toujours été entourée, préservée – découvre la « vraie » vie: « on m’a toujours un peu camouflé la réalité. C’est comme si je vivais dans un monde parallèle mais j’ai toujours su que la réalité ce n’était pas cela. Et, maintenant, je suis un peu comme un enfant qui découvre le monde extérieur ».
Elle qui se réjouissait enfin de vivre « normalement », se voit à présent – comme tout le monde – confinée. « Mais, dit-elle, c’est une épreuve comme une autre. J’ai vécu pire. Ce n’est pas le confinement qui va m’arrêter. »
Un soutien précieux
Si elle a pu réaliser ses rêves, c’est grâce à ses parents qui ont cru en elle. Elle a refusé de se laisser enfermer dans le stéréotype « handicap = pas d’avenir ». Son premier objectif a été d’obtenir son diplôme de secondaires malgré un parcours entrecoupé d’opérations compliquées et douloureuses. Mais celles-ci faisaient partie de son plan de combat et de réussite.
« Puis, en fin de secondaires, par l’asbl « Les Passeurs », j’ai rencontré trois personnes extraordinaires qui ont directement cru en moi et en mes rêves. Elles m’ont inspiré le courage de me demander quel itinéraire je voulais faire et d’y croire. C’est le plus beau cadeau qu’on puisse me faire! » Cette association accompagne les personnes en situation de handicap tout en les laissant actrices de leur projet. Aujourd’hui, alors que Amina est en 2e BAC et qu’elle réussit brillamment, ces trois personnes sont toujours à ses côtés: « pour mon projet de livre autobiographique et pour mes études, elles créent des ponts avec des étudiants qui m’aident. » Amina cite par exemple les étudiants du Kot à projets « Les Granzemsemble » qu’elle qualifie de « belles âmes ». « On a vraiment besoin de ce genre de personnes! Si tout le monde était ainsi, le handicap n’existerait pas », relève-t-elle.
Trouver un sens aux épreuves
« Personnellement je ne vois plus ma vie sans épreuves. Je pense qu’elles font partie de la vie. Si mes rêves devaient se réaliser en un clin d’œil, ce serait tellement fade. »
Assurément, Amina savoure d’autant mieux ses victoires: « Je me suis tellement battue pour avoir mon diplôme de secondaires que je ne vois certainement pas cette réussite comme quelqu’un qui l’a eue plus facilement. Finalement, je considère que c’est une chance d’être éprouvée. Je ne dis pas que je demande à l’être mais on peut toujours trouver sens à ce que l’on vit. Avec le recul, on peut trouver les réponses. Moi, je trouve que chaque situation à ses mérites. Et si le rêve devait se réaliser par des coups de baguette magique, on ne rêverait plus. »
Une mission
Parmi les rêves les plus profonds d’Amina, il y a celui d’un monde où chacun à sa place. « La société ne voit pas le handicap comme un potentiel. Elle nous réduit à notre handicap et, cela, je ne l’accepte pas ni ne le tolère. Je me suis donné la mission d’ouvrir les portes et d’enlever tous les stéréotypes, toutes les pensées arriérées sur le handicap. A un moment donné, j’ai dû trouver un sens à mon combat; et, aujourd’hui, j’agis aussi pour les autres et les générations qui me suivront. Et ce pour qu’il n’y ait plus toutes ces frontières, discriminations, barrages… » Ses trois objectifs sont: changer la mentalité de la société, inventer un monde plus juste et plus inclusif et rendre l’enseignement accessible à tous.
Et pourquoi pas, un jour, ministre de l’enseignement? « Je vous avoue ces derniers temps, je pense de plus en plus à l’éducation. Oui, cela me plairait bien. Je pense que le changement commencera par un enseignement plus juste et plus égalitaire. Si on éduque les enfants avec ce rejet de la différence, on ne peut pas aller en avant, on ne peut pas espérer une société plus juste. Pour moi, tout passe par l’éducation. C’est là où est le problème! Tandis que pour mes neveux et nièces, par exemple, mon handicap fait partie de la vie, de la normalité; ils ne le voient pas. Ils sont beaucoup plus tolérants envers les autres, plus ouverts d’esprit comparé à des enfants qui n’ont connu que la norme. »
Re-naître et rayonner
Pouvoir bouger, parler, obtenir son diplôme de secondaires, être admise à l’université… Toutes ces « re-naissances » ont demandé à Amina du courage, de la persévérance, du temps et du soutien. Avoir dû surmonter tant d’obstacles lui donne une force de vie communicative et un regard empli d’espérance. N’est-ce pas aussi le message de la Passion et de la Résurrection de Jésus? Puisse le témoignage d’Amina donner à chacun et chacune la foi de trouver en soi la force de rebondir malgré les épreuves, voire même grâce à elles.
Nancy GOETHALS