Louvain coopération: le savoir devient savoir-faire


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Louvain coopération: le savoir devient savoir-faire
Par La rédaction
Publié le - Modifié le
6 min

Les belges travaillent main dans la main avec leurs homologues du pays

Université et ONG travaillent de concert entre la Belgique et les pays dits en développement. Le cours optionnel prépare les jeunes IngénieuxSud à mener des projets en sciences ou technologie.

Une centaine de jeunes participe chaque année à des missions dans un pays du Sud pour mettre leurs théories en application. "Nous n'étions pas les mêmes entre le moment où nous sommes partis", raconte Antoine IDE aujourd'hui, "et le moment où nous sommes revenus après trois semaines plongés dans cette nouvelle culture". Antoine est allé avec trois autres étudiants au Cambodge. Leur mission: trouver une solution technique pour stocker les légumes un peu plus longtemps. Dans ce pays d'Asie, le climat très humide et chaud oblige les paysans à vendre leurs productions en une journée, sous peine de voir les produits s'abîmer. Antoine IDE raconte combien "il apparaît difficile techniquement de refroidir sans apporter et consommer de l'énergie." La solution est venue d'une approche plus empirique élaborée par concertation avec les étudiants et les experts cambodgiens.

Ce programme IngénieuxSud présente la particularité d'associer les partenaires du Sud depuis la conception d'un projet à sa réalisation. Ces dernières années, une cinquantaine de projets était proposée par des ONG ou des universités d'Afrique, d'Amérique du Sud ou d'Asie. Développement d’une ferme bio au Népal, mécanisme d’épuration des eaux en RDC, système de réfrigération de cultures au Cambodge, ou encore de potabilisation de l’eau au Cameroun… Le choix était large pour les étudiants belges. Selon leur filière universitaire, entre sciences ou ingénierie civile, les jeunes optaient pour un projet plus technique ou scientifique. Quoique, Antoine relevait au retour du Cambodge: "L'aspect technique représentait à peine 1% de ce que nous avons fait." Pourtant le défi était important dans leur cas: la solution pour conserver les légumes passait par la construction d'une pièce frigo qui ne consommait pas d'énergie externe. En résumé simplifié, c'est l'évaporation de l'eau dans les murs qui apporte le refroidissement de la pièce. Les étudiants en bio-ingénieur se sont transformés en maçons pendant l'essentiel de leur séjour au Cambodge. Heureusement, ils ont été aidés par les partenaires locaux qui disposaient de plus d'expérience en matière de construction de murs.

Jusqu'au produit fini

L'échange mutuel entre les Belges et les étudiants sur place est précieux pour tous les projets. Par exemple, pour négocier les prix du matériel nécessaire. Yan Coupez, qui faisait partie de la même mission qu'Antoine au Cambodge, reconnaît qu'"on n'aurait pas su où acheter le matériel nécessaire." Thomas Leyssens qui, lui, a travaillé en République démocratique du Congo, ajoute: "En tant que Blancs, nous aurions certainement dû payer plus cher!" De leur côté, avec trois autres jeunes, étudiants en bac 3 ingénieur civil, ils ont cherché une solution pour amener de l'eau dans un village de la région de Kinshasa, sans consommer trop d'énergie. Précédemment, la pompe utilisait beaucoup d'électricité et donc une grande partie du budget du village servait à cela. Leur astuce a consisté à installer une roue manœuvrée par l'énergie hydraulique pour fournir de l'énergie. Son collègue de projet François Malvaux évoque quelques difficultés de départ dans la réalisation pratique de cette roue. Il a fallu notamment tailler les tôles aux dimensions des pales de la roue. La résolution des problèmes est venue grâce aux conseils des étudiants congolais qui travaillaient sur le même projet. "Au final, cela a donné l'idée à d'autres personnes de créer leur propre roue. Nous avons servi de catalyseur!"

Dans cette sorte de bilan, les étudiants sont unanimes pour apprécier d'avoir monté un projet de A à Z, ce qui est souvent rare dans le cadre d'une formation. La coordinatrice d'IngénieuxSud pour l'ONG Louvain coopération confirme leur volonté de laisser les jeunes se débrouiller avec l'aide des partenaires du Sud. Antoine, Yan, François; Thomas, et les autres étudiants partis en mission reviennent satisfaits d'avoir pu voir le résultat de leurs recherches. Le produit fini donne souvent envie aux autres habitants du pays de s'en inspirer, voire de reproduire le même. Ainsi au Cambodge, raconte Antoine IDE, "les autres paysans sont venus voir comment la pièce de conservation des légumes fonctionnait et surtout comment la construire". L'interaction avec les utilisateurs finaux joue un rôle déterminant dans la mise en place de la solution et sa pérennisation.

Chercher la durabilité

Stéphanie Merle qui travaille à Louvain Coopération, et donne cours à l'UCLouvain, raconte une anecdote arrivée à un autre groupe d'étudiants: "Ils devaient élaborer une machine pour éplucher les arachides. Très rapidement, ils sont revenus vers nous avec une solution technique… mais aucune connaissance de la manière dont les arachides sont cultivées, comment les déchets sont réutilisés ou jetés, etc. Ils savaient juste que l'arachide mesurait environ 2,5 cm de long et leurs calculs portaient là-dessus." Le rôle des titulaires de ce cours IngénieuxSud consiste alors à faire prendre conscience aux étudiants de la portée de leurs recherches, des besoins auxquels leurs solutions vont pouvoir répondre. On touche là du doigt un des risques auquel les étudiants sont confrontés, le risque de perdre pied par rapport à la réalité. Dans ces projets précis, les jeunes pourraient surtout passer à côté de l'objectif du travail demandé en se concentrant sur l'aspect technique et scientifique mais en étant déconnectés des besoins de la population du Sud.

Cette prise de recul dans la gestion d'un projet encouragée par IngénieuxSud peut servir de fil conducteur à la future vie professionnelle des ingénieurs, scientifiques, chercheurs et enseignants. Stéphanie Merle remarque que "c'est rare dans le monde du travail d'avoir des contacts avec les users, les utilisateurs finaux". Et pourtant, le fait de prendre en compte leurs besoins réels dans le processus de création technique ou scientifique peut améliorer la production de la solution, et inversement éviter l'échec. Dans une démarche de durabilité, ajoute la coordinatrice d'IngénieuxSud à Louvain coopération, il serait bon que chaque ingénieur développe des relations avec les utilisateurs pendant le processus créatif. Cela permettrait de mettre en place des solutions utilisables sur le long terme, et pas seulement dans un usage immédiat.

Au-delà des connaissances techniques et scientifiques acquises, les étudiants belges ont beaucoup développé l'approche d'une autre réalité. Logés chez l'habitant, ils ont pu découvrir les conditions de vie dans le pays concerné. Dans les deux groupes dont nous avons eu le bilan, les jeunes de l'UCLouvain ont été marqués par la différence entre la vie dans la capitale et la réalité dans le village où ils ont agi. Thomas Leyssens se souvient encore de la visite du village près de Kinshasa: "nous avons réalisé que de nombreux autres projets pourraient y être menés. Les idées ne manquent pas pour améliorer les conditions de vie des habitants sur place." Son collègue François Malvaux ajoute ce détail touchant, montrant à quel point les villageois se sont approprié leur travail: "les enfants sont venus peindre la roue que nous avons construite."

La nouvelle promotion d'IngénieuxSud est en train de préparer les projets avec lesquels ils parcourront le monde. Ce programme crédité de dix heures de cours est ouvert en option pour tous les étudiants en bac 3e année en sciences & technologie. Les étudiants intéressés préparent depuis quelques mois la mission qu'ils feront l'été prochain, au plus tard en septembre, dans le pays où ils vont créer leurs solutions.

Anne-Françoise de BEAUDRAP

Catégorie : Belgique

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