Loin d’être banale, la vie de Romani Badir a débuté sous des auspices peu favorables, dans un bidonville égyptien. Lors d’un passage en Belgique, l’ancien bras-droit de sœur Emmanuelle témoigne de son quotidien, lui qui est désormais un expert reconnu en recyclage.
Romani Badir a 11 ans quand il fait la connaissance de sœur Emmanuelle. Cette rencontre va profondément marquer sa vie. Contrairement aux sœurs orthodoxes, qui ne quittent pas leur monastère, la religieuse arpente le bidonville afin de rendre immédiatement service aux démunis là où ils se trouvent. Elle choisit de travailler parmi les plus humbles et n’hésite pas à occuper une chambre dans un abri de fortune. « A l’âge de 4 ans, j’avais déjà commencé à faire, avec mon père, la collecte des poubelles sur la charrette. On débutait le travail à 4h du matin, avant d’aller à l’école. On allait chercher de l’eau à 13km. On dormait par terre, on tombait de fatigue, on ne rêvait pas », se souvient l’ancien bras-droit de sœur Emmanuelle. L’arrivée de la religieuse a bouleversé le cours de leurs existences chahutées, en permettant notamment la construction en dur d’une chambre pour chaque famille. « Aujourd’hui, les enfants aident encore leur famille, mais 97% d’entre eux vont à l’école », se réjouit Romani, qui a commencé un cours d’alphabétisation pour les hommes avec sœur Emmanuelle, alors qu’il était seulement âgé de 11 ans.
Aujourd’hui père de quatre enfants, Romani a la joie de voir qu’ils entreprennent de solides études. Ce faisant, il leur assure un avenir, tout en maintenant leur intégration locale. « Rester sur place, aider les autres », voilà le message de sœur Emmanuelle. Au-delà de cette vision, il s’agit pour les élites du pays d’être animés par la volonté d’entreprendre quelque chose. Sœur Emmanuelle n’est pas restée une visiteuse, mais elle devenue elle-même une chiffonnière. « Quand je l’ai vue, c’était très drôle. Pour moi, c’était une dame. Je ne croyais pas que c’était une sœur! Elle nous a montré le chemin et a changé notre vie. Si elle n’avait pas été là, nous aurions été chassés de cet endroit, comme nous avions été chassés de sept endroits précédents. Elle a participé au développement sur place, en nous amenant l’électricité et l’eau. » Ensuite, les habitants ont appris à fabriquer leurs propres machines recyclées, avec un coût de revient inférieur à 90% de celui des machines commercialisées! Et à présent, souligne avec fierté Romani Badir, 4.000 tonnes de déchets sont recyclés chaque jour au bidonville de Mokkatam, tandis que 10.000 travailleurs de Haute-Egypte se joignent aux habitants pour y travailler.
La foi inscrite sur le poignet
« Dans le bidonville de Mokkatam, on trouve quatre églises et deux mosquées. Il n’y a pas de différence entre les familles », précise l’Egyptien. D’ailleurs, « sœur Emmanuelle a toujours voulu œuvrer pour le rapprochement des différentes communautés religieuses », renchérit Christophe Etien, le président de l’association Les Amis de sœur Emmanuelle. Il est vrai que les conditions de vie des coptes se sont améliorées depuis la révolution et l’arrivée au pouvoir du président Sissi, il y a deux ans. « 84 édifices religieux avaient été brûlés et détruits par les Frères Musulmans. Le pouvoir en place en a déjà reconstruit une cinquantaine », témoigne notre hôte, pendant que Christophe Etien rappelle le soutien apporté par l’association, lors de moments plus troublés. Il s’agissait alors de préserver l’éducation des filles et de favoriser la promotion de l’élevage porcin, tellement utile à l’évacuation des détritus. Quels que soient les aléas de la politique, une tradition se perpétue. En effet, les coptes se font tatouer la croix copte sur le poignet, dès leur plus jeune âge. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une obligation, mais plutôt d’un signe distinctif arboré avec fierté. « Les parents mettent la croix sur la main droite des bébés, depuis le temps des martyrs », précise Romani, qui a perpétué la même tradition avec ses quatre enfants.
Une femme au tempérament fort
« Il y a d’abord sa petite voix. Elle vous parlait et vous regardait directement dans le cœur. Elle pouvait s’adresser à un ministre, à un prisonnier… Cela a amené plein de gens à la soutenir sur le long terme, comme Patrick Poivre d’Arvor ou Bernard Kouchner », affirme le directeur des Amis. D’un tempérament direct et spontané, sœur Emmanuelle a porté une série de projets dans le bidonville: en matière d’enseignement, d’éducation, de travail, de logement, de soins, etc. Elle a même mis sur pied des troupes Scouts, qui perdurent. « Elle n’avait peur de personne; ce qu’elle disait était un ordre », se souvient celui qui fut son bras-droit. Et sa crédibilité, elle la puise dans son appartenance à la communauté locale. « On rêvait d’avoir des ordres d’elle, parce qu’elle était devenue chiffonnière. Ce qu’elle voulait faire, c’était pour nous », se souvient Romani encore ébloui.
Angélique TASIAUX