Opinion : « L’Eglise renâcle à emboîter le pas à la société civile alors que pendant des siècles, ce fut l’inverse »


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Opinion : « L’Eglise renâcle à emboîter le pas à la société civile alors que pendant des siècles, ce fut l’inverse »
Il y a exactement un mois, le 29 septembre 2024, le pape François présidait l'eucharistie devant plus de 35.000 personnes. © Jacques Bihin
Par Jean GENICOT
Publié le
7 min

Il y a un mois, jour pour jour, le pape François présidait la messe au stade Roi Baudouin, puis s'envolait pour Rome après une visite de quatre jours dans notre pays. Un voyage qui a, par la suite, suscité bien de commentaires et débats. Jean Génicot, historien et juriste, revient aujourd’hui sur deux sujets centraux de ce voyage : la place des femmes dans l’Église et l’avortement.

Retrouvez ci-dessous sa carte blanche dans son intégralité :

"Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde" (Albert Camus)

Encore et encore quelques réflexions suite à la visite du Pape en Belgique. Son discours à Laeken fut irréprochable. A Leuven, il est un peu moins convaincant. A LLN, j'ai retenu deux affirmations : « L'Eglise est une femme » et « La femme est supérieure à l'homme ». Dans l'avion du retour, il a fustigé l'avortement et ceux qui le pratiquent.

Permettez-moi de vous livrer quelques réflexions autour de ces deux thèmes :  la place des femmes dans l'Eglise et l'avortement.

C'est avec humilité que je tenterai de développer une approche qui se veut étrangère à tout esprit polémique et péremptoire.  Bref, il s'agit d'un questionnement !

Si certaines propositions présentent un caractère lapidaire, cela peut résulter du fait que je ne suis pas spécialiste en la matière, en particulier théologique, n'étant qu'un modeste historien et juriste. 

I. La place des femmes dans l'Eglise

Le 5 avril 2012, Benoît XVI a rappelé que son prédécesseur a déclaré de manière irrévocable qu'au sujet de l'ordination des femmes, que l'Eglise n'a reçu aucune autorisation de la part du Seigneur.

De son côté, François a réaffirmé que la question du sacerdoce réservé aux hommes, comme signe du Christ Epoux qui se livre dans l'eucharistie, ne se discute pas.

Le Journal Dimanche (n°37) du 20 octobre 2024 aborde la question dans les « Echos des parvis » sous la plume de Clément Laloyaux qui cite un commentaire d'internaute : « Si Jésus avait voulu nommer des apôtres femmes, il l'aurait fait ».

ALORS QUE :

a) Quant à l'eucharistie

Lorsque le ministre du culte soulève l'hostie et le calice, la transsubstantiation ne concerne évidemment pas sa pauvre personne mais le pain et le vin. Dès lors, le genre de l'officiant est indifférent.

b) Quant au genre des apôtres

Sociologiquement, le Christ avait-il le choix alors qu'à l'époque, la femme était juridiquement voire socialement quasi inexistante. Rappelons-nous l'épisode de la femme adultère (Jean, 8, 1-11). Où est son partenaire masculin ?

Dans le même esprit, repensons à la question des scribes et pharisiens (Marc, 10, 2-16) : « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? » Qu'en est-il de l'inverse ?

Ainsi, le psaume 128 (127) :

« Ton épouse : une vigne fructueuse ...
« Tes fils : des plants d'olivier alentour de la table...
« Puisses-tu voir Jérusalem dans le bonheur et voir les fils de tes fils. »

Point question d'évoquer les filles de tes filles/de tes fils.

Sans oublier saint Paul (1 Cor.11, 2-16/Bible de Jérusalem) :

« ... le chef de tout homme, c'est le Christ ; le chef de la femme, c'est l'homme ; ...
« Tout homme qui prie ou prophétise le chef couvert fait affront à son chef. Toute femme
« qui prie ou prophétise le chef découvert fait affront à son chef ;...
« L'homme, lui, ne doit pas se couvrir la tête, parce qu'il est l'image et le reflet de Dieu ;
« quant à la femme, elle est le reflet de l'homme. »

Ces textes pauliniens n'ont plus qu'un seul mérite, celui de faire rire ou sourire les paroissiennes.

A la source, le livre de la Genèse (3, 1-7) rappelle la faute de la femme qui entraîne celle de l'homme et leur chute. Le temps de la rédemption nous incline à admettre que la Vierge Marie, nouvelle Eve, libère la femme de cette culpabilité originelle.

A l'époque, il était inconcevable que Jésus introduise 6 femmes parmi les 12 apôtres. Songeons déjà aux interprétations scandaleuses qui tentent de souiller la relation de Jésus avec les femmes disciples et notamment Marie-Madeleine.Telles sont les limites spatio-temporelles de l'incarnation.

Le poids de l'histoire est tel qu'en Belgique, ce n'est qu'en 1949 que les femmes ont voté pour la 1ère fois et en 2002 que la parité dans la représentation politique des deux genres fut instaurée. Mais il fallut légiférer tant le pouvoir ne se partage pas volontiers, de manière naturelle.

L'Eglise renâcle à emboîter le pas à la société civile alors que pendant des siècles, ce fut l'inverse, celle-ci gravitait dans le sillage de celle-là (oeuvres de charité : éducation, soins, travail agraire; tenue de registres du futur état civil). L'Eglise a ainsi, au fil des siècles, ensemencé l'esprit évangélique : "Dieu est Amour, Il t'aime. Aimez-vous les uns les autres comme Je vous aime".

A telle enseigne que les clercs serinaient : « Hors de l'Eglise, pas de salut ». D'aucuns, actuellement, affirment le contraire. Cet esprit demeure et fructifie au sein et hors du cadre institutionnel de l'Eglise. Pour éviter de trop longs développements à ce sujet – songeons à « Viva for live » et son cube - qu'il me suffise d'évoquer la chanson de Jacques Brel « Quand on a que l'amour » écoutée « religieusement » lors des cérémonies de mariage.

L'anachronisme historique véhiculé par l'Eglise prend une tournure névrotique voire perverse. La problématique de la relation au sexe féminin est malheureusement illustrée par des abus en tous genres que ce soit tant vis-à-vis de ses entrailles (viol, attentat à la pudeur) que de son fruit (avortement, pédophilie).

Comme l'a signalé le recteur de la KUL lors de son adresse au Pape François, la nomination de Rebecca Alsberge comme déléguée épiscopale en Brabant wallon met en exergue à la fois le malaise et la volonté d'y porter remède. Cette proposition de Mgr Jean-Luc Hudsyn, approuvée par l'archevêque Luc Terlinden, n'a pu qu'être suscitée par la 3è personne de la Sainte Trinité.

C'est dans ce contexte que le Pape François emprunte un langage tarabiscoté affirmant que la femme est supérieure à l'homme et que l'Eglise est une femme. Le mot « église » est du genre féminin mais elle n'est pas pour autant « féminine » puisqu'il lui est reproché d'être trop « masculine ». Pensons à l'image qu'elle donne lors d'un conclave.

De la sorte et très maladroitement, le pape François met la femme sur le pavois, la parant d'une renommée exceptionnelle pour lui faire accepter le refus du partage du pouvoir sacerdotal d'autant qu'il est recommandé de n'y voir qu'un simple service. Est-il nécessaire de rappeler que la Vierge Marie est bénie entre toutes les femmes (prière du « Je vous salue Marie »), étant de conception immaculée et la mère de Dieu.

En réalité, l'Eglise n'est rien d'autre que la représentante du Christ sur la terre. C'est une institution fort imparfaite à l'instar de ceux et celles qui la composent et la font vitre ; en un mot, elle est pécheresse. Dire qu'elle est une femme, conduit à réserver ses vicissitudes à un seul genre.

Par contre, la qualifier d'épouse du Christ revêt une toute autre densité sémantique et spirituelle. Dans le même esprit, la Vierge Marie est réputée mère de l'Eglise, celle-ci en tant que peuple de Dieu, pasteurs et fidèles.

II. L'avortement

C'est dans l'avion du retour vers Rome que le pape François a adopté un ton abrupt pour condamner l'avortement et ses praticiens.

Quoi de neuf sinon peut-être au niveau langagier carrément outrancier qualifiant les médecins avorteurs de tueurs à gage. Où se situent le sens de la nuance, la charité et la commisération vis-à-vis des personnes en souffrance ?

Certes, le ton est prophétique comme un retour au style de l'ancien testament. Comme un coup de poing.

Toutefois, alors qu'il dénonce le désert démographique, ne devrait-il pas davantage encourager les gouvernants à développer des mesures de soutien des femmes et des couples confrontés à une épreuve psychologique, morale (solution de confort) et/ou matérielle.Car, comme le rappelait Simone Veil, ce n'est jamais de gaieté de coeur qu'une femme décide de se faire avorter.

En d'autres mots, s'insurger contre l'avortement est légitime mais s'attaquer à ses causes et à la société gangrenée par le matérialisme et un individualisme exacerbé est quasi un préalable. Dénoncer l'avortement, succédané de la détresse humaine, postule un dépouillement négligé par l'Eglise qui, pour beaucoup de ses détracteurs, parait opulente.

Alors que le roi Baudouin ne semblait pas, à mon estime, particulièrement populaire ou charismatique, c'est une foule d'environ 500.000 personnes qui lui a rendu un dernier hommage lors de son décès inopiné survenu le 31 juillet 1993. Au risque d'être détrôné, n'est-ce pas le fait qu'il a préféré être fidèle à sa conscience (et sa Foi) en refusant de signer la loi légalisant l'avortement que les citoyens ont voulu honorer ?

Comme un diktat de l'inconscient collectif qui a surpris tout le monde. Comme un appel au respect de la Vie. Comme un appel à l'aide. Le projet de béatification est dès lors parfaitement cohérent.

En conclusion, les universités catholiques louvanistes ont un défit à relever : redonner du sens à leur catholicité.

Il reste une énorme difficulté qui n'a pas été abordée.

Bien des sociétés dans le monde n'accordent pas (encore) à leurs citoyens et citoyennes, les mêmes droits. L'Afghanistan en est un exemple consternant, pathétique.

« Yalla » : allons de l'avant, défrichons malgré tout ... et que l'Eglise revienne à la proue !

Dans les 5 années à venir, je l'espère et le pense, il sera enfin temps de se réjouir qu'une femme puisse accéder au sacerdoce. Encore un peu de patience !  

Mais n'ayons de cesse de participer au débat car s'en abstenir pourrait procéder d'une forme d'idolâtrie.

Jean GENICOT


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