Le roi Baudouin et l’avortement : le primat de la conscience


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Le roi Baudouin et l’avortement : le primat de la conscience
Le roi Baudouin (c) monarchie.be
Par Vincent Delcorps
Publié le
3 min

En 1990, coup de théâtre: le roi Baudouin refuse de signer la loi dépénalisant l'avortement. Une décision profondément personnelle qui fera l'objet de peu de polémiques. Mais le roi n'aurait sans doute pu se permettre ce geste une deuxième fois.

"Vous pouvez téléphoner au pape pour qu'il me demande de signer, je ne le ferai pas." Indubitablement, c'est une décision profondément personnelle que le roi Baudouin vient de prendre. En conscience, il ne peut pas signer la loi relative à la dépénalisation de l'avortement.

Les trois sages

L'homme, pour autant, n'a pas manqué de consulter. Pas grand monde – il veut éviter de faire porter sur d'autres le poids de sa propre responsabilité. Mais quelques proches. Séparément, il s'est ainsi entretenu avec deux grands commis de l'Etat: Pierre Harmel, son ancien Premier ministre, et André Molitor, son ex-chef de cabinet. Deux personnalités catholiques. "On sait aujourd'hui qu'ils lui ont tous deux conseillé de signer la loi mais d'envoyer, en même temps, une lettre publique dans laquelle il faisait savoir qu'il n'avait pas signé en tant que personne mais en tant que chef d'Etat, dans le cadre de sa fonction donc", précise Vincent Dujardin. "Mais Baudouin ne partageait pas cette vision."

Une troisième personnalité va être consultée: le cardinal Godfried Danneels, président de la Conférence épiscopale belge. La teneur exacte de l'échange n'est pas connue. Mais il est certain que l'archevêque n'a pas encouragé Baudouin à ne pas signer. L'archevêque craignait notamment que des élections soient organisées sur cette délicate question.

Avec le soutien de 77% des Belges

Le 30 mars, Baudouin reçoit son Premier ministre, Wilfried Martens, et lui fait part de son objection. Il lui remet aussi une lettre. On y lit notamment ceci:

"J'ai de sérieuses appréhensions aussi concernant la disposition qui prévoit que l'avortement pourra être pratiqué au-delà de douze semaines si l'enfant à naître est atteint 'd'une affection d'une particulière gravité et reconnue comme incurable au moment du diagnostic'. A-t-on songé comment un tel message serait perçu par les handicapés et leurs familles?"

En étroite concertation avec le Premier ministre Wilfried Martens, une solution juridique est trouvée: durant 36 heures, le roi va être mis "dans l'impossibilité de régner" pour raisons de conscience. "Et contrairement à ce que craignaient les principaux conseillers de Baudouin, l'affaire est passée assez sereinement dans l'opinion publique", remarque Vincent Dujardin. Un sondage en atteste: 77% des Belges manifestent leur souhait que Baudouin n'abdique pas – et seuls 11% demandent l'inverse. "Pour Baudouin, ce fut une heureuse surprise", commente l'historien.

Si Baudouin avait vécu plus longtemps…

Reste que l'affaire a été sérieuse. Et que Baudouin ne souhaite pas que pareille situation se reproduise. Le roi imagine-t-il déjà la possibilité d'être un jour confronté à une loi relative à l'euthanasie? En tous les cas, il semble acquis qu'il n'aurait pu la signer. "Il voulait donc que l'on trouve une solution", commente Vincent Dujardin. "Soit que l'on supprime la sanction royale pour les lois, soit qu'on la supprime pour les lois en matière éthique." Divers projets sont étudiés dans ce sens, aucun n'aboutit. La mort de Baudouin viendra même les enterrer – Albert n'étant pas favorable à une révision de la Constitution sur cette question. "Clairement, si Baudouin avait vécu plus longtemps, il aurait fallu modifier la Constitution sous peine d'assister à la reproduction de ce genre d'épisodes", conclut Vincent Dujardin.

Vincent DELCORPS

Catégorie : Belgique

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