Des victimes s’adressent au Pape: “Aujourd’hui, il est toujours aumônier des jeunes filles”


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Des victimes s’adressent au Pape: “Aujourd’hui, il est toujours aumônier des jeunes filles”
Par Sophie Ducrey
Publié le
3 min

Sophie Ducrey, 51 ans, habite Gembloux. A 16 ans, elle a été confrontée à la violence d'un pouvoir absolu et terriblement destructeur.

Cher François,

De la part d’une femme, épouse et mère de cinq enfants, résidant à Gembloux et passant la majeure partie de son temps pour des victimes d’abus dans l’Eglise.

Je me permets de vous appeler par votre prénom, et non par les termes d’Excellence, Eminence ou que sais-je, puisque nous sommes sortis tous deux nus du ventre de notre mère et retournerons nus dans celui de la terre, parce que nous sommes tous deux humains. Nous avons un cœur qui bat semblablement, un corps qui se meut de la même façon, une conscience pour être responsables de nos choix, vous comme moi.

Nous ne nous connaissons pas et je ne pourrai jamais juger la façon dont la Source de Vie ou d’Amour jaillit de votre cœur, comme du mien d’ailleurs. Nous ne savons pas qui elle est, comment elle est, ni d’où elle vient. Nous sommes libres d’y croire ou pas, cela ne l’empêche manifestement pas de jaillir et aux humains de lui ouvrir leur cœur, ou non. Les quelque dix mille religions qui ont existé de par le monde ont, elles, décidé non seulement de savoir, mais aussi de contraindre, par la séduction ou la peur et, aujourd’hui, je ne comprends plus. Je suis sortie d’emprise.

Cette emprise a conduit un homme comme tant d’autres, à se considérer, parce que prêtre, comme représentant du Christ, et de Dieu donc. Un homme qui croit savoir ce que Dieu désire, dit, pense et fait - ou pas. Un homme qui estime aussi que sans les sacrements, que lui seul est à même de nous administrer, nous n’aurions pas la Vie.

Un pouvoir aussi absolu que celui-là, ni plus ni moins. A 16 ans, j’ai donc remis entre ses mains ma volonté, mes pensées, ma conscience et finalement mon corps, jusqu’à l’intime, puisque cela correspondait - selon ses dires - à la volonté de Dieu. Il a tout pris.

Apprenant que ses agressions étaient devenues de plus en plus monstrueuses, j’ai parlé, écrit, pleuré, crié afin qu’il soit mis hors d’état de nuire, afin qu’il ne prétende plus apporter la Vie pour mieux saccager sa jeune et frêle émergence. Aujourd’hui, trente-trois ans plus tard, il est toujours aumônier des jeunes filles faisant leur entrée dans les communautés toutes nouvelles de par le monde, que sont Maria Stella Matutina et Verbum Spei. Mais peu importe, ce qui seul compte pour l’Eglise sont les fruits: il convertit les jeunes et remplit l’église.

Que les fruits soient empoisonnés de l’intérieur, cela ne se voit pas. Les sépulcres sont blanchis, les sourires font illusion. L’Institution peut continuer de se croire puissante, proférer des sermons et rédiger de magnifiques encycliques; conduire le peuple dans l’hypnose collective de célébrations solennelles et user de Dieu pour le mettre à genoux. Je ne veux plus être complice de cette usurpation, de cette mascarade. J’ai compris que je criais dans le désert, et suis allée rejoindre les lieux de Vie où la Source jaillit de nos seins, dans la qualité de présence de personnes qui se rencontrent au cœur du réel de leurs existences.

Si Dieu n’est pas là, où serait-il?

Adieu François,

Sophie Ducrey

Sophie Ducrey est l’autrice du livre Etouffée. Récit d’un abus spirituel et sexuel (Tallandier, 2019).


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