Depuis l’avènement de la modernité, l’Eglise catholique, comme la société, est traversée par des courants conservateurs et progressistes. Le processus synodal en cours a montré que la confrontation entre ces deux tendances est toujours d’actualité. Comment, au-delà des caricatures, appréhender ce phénomène? Dimanche tente d’apporter des éléments de réponse.

A la fin de l’été, 200 jeunes catholiques, issus de différentes paroisses et communautés, publiaient une « lettre ouverte aux chrétiens de Belgique« . A contre-courant de certaines conclusions de la synthèse interdiocésaine du synode, ils y exprimaient notamment leur attachement à l’enseignement de l’Eglise, au célibat des prêtres, et leur opposition à l’ordination des femmes. La publication de la lettre dans Dimanche et sur www.cathobel.be a suscité de nombreuses réactions, positives ou (très) négatives. Parmi ces dernières, le reproche de « conservatisme » adressé à ces jeunes chrétiens qui, de leur côté, refusèrent précisément cette étiquette…
👉 La lettre ouverte de 200 jeunes interpelle
Comme en témoignent les échanges parfois vifs autour de cette initiative, l’actuel processus synodal, par les multiples questionnements et réflexions qu’il favorise, nous ramène une fois encore à la confrontation présumée entre un courant conservateur et une tendance progressiste au sein de l’Eglise catholique. Ce qui nous invite à poser ces questions: cette opposition existe-t-elle réellement dans nos Eglises d’Europe occidentale, ou n’est-elle qu’une façon simpliste d’envisager des réalités par définition complexes et multiformes? Et le cas échéant, que recouvrent exactement les termes « conservateur » et « progressiste » dans l’Eglise, et quelle est l’origine de ces deux courants?
Ordre ou mouvement?
Pour le théologien Benoît Bourgine, professeur à la faculté de théologie et d’étude des religions de l’UCLouvain, ces deux tendances « correspondent à une réalité, mais sont en même temps des clichés, des étiquettes extrêmement trompeuses parce qu’imprécises, et qui figent les choses« . Au-delà de la caricature, il est toutefois possible d’esquisser un portrait nuancé des mouvements conservateur et progressiste, en se replongeant dans le passé.
Dès la naissance de l’Eglise, une décision fondatrice est prise pour son avenir: alors que des chrétiens issus du judaïsme veulent imposer la circoncision et la Loi de Moïse aux païens qui adhéraient au Christ, Paul fait valoir que c’est par la grâce et la foi seules qu’on accède au salut. Une position qui peut être qualifiée de progressiste. Quant aux chrétiens d’aujourd’hui, explique Benoît Bourgine, ils demeurent « marqués par la grande fracture qu’ont représenté la modernité et la Révolution française, d’une part, et la réaction catholique à la Révolution d’autre part, au XIXe siècle, qui a abouti à la condamnation des idées ‘modernistes’ par l’Eglise« . C’est en référence à ce conflit entre promoteurs des idées modernes et défenseurs du dogme qu’on définira respectivement les progressistes et les conservateurs.
Ces derniers, des penseurs français et anglais notamment, vont recourir à des valeurs et à un modèle de société traditionnels, les idées nouvelles étant jugées dangereuses pour l’ordre social, fondé notamment sur une monarchie de droit divin. Face à la violence de la Révolution française et aux idéaux de raison et de liberté qui entraînent le chaos par la perte des repères établis, le conservateur prône « l’ordre et de la reconduction du passé, qui peut se prévaloir d’une expérience et d’une sagesse éprouvées par les siècles, capables d’assurer la paix sociale« , indique Benoît Bourgine. Le progressiste, de son côté, « affirme le mouvement plutôt que l’ordre« . Pour lui, le salut ne réside pas dans le passé mais dans le changement, qui doit aboutir au progrès social et à l’épanouissement individuel.
Le fond et la forme
Comment ces caractéristiques du conservatisme et du progressisme se traduisent-elles dans l’Eglise? Pour le catholique conservateur, il est essentiel de transmettre, de manière intacte, la foi reçue des apôtres. Cette transmission fidèle est le cœur même de ce que l’Eglise catholique nomme la Tradition, et passe par certaines formes: des dogmes, des rites, une éthique… « Chez le conservateur, Il y a cette idée très intéressante que le fond n’est pas indépendant de la forme« , poursuit le professeur Bourgine. « Cela va au-delà du ritualisme, d’un attachement à la forme pour la forme. Dans la vie spirituelle, l’intérieur ne peut vivre sans manifestation extérieure, corporelle, rituelle, et donc traditionnelle.«
Pour le catholique progressiste, « la Tradition est d’abord une vie qui se transmet. Et parce que les chrétiens ne sont pas en dehors du monde, le progressiste tente de s’approprier à neuf ce qui a été reçu des générations précédentes, pour relancer le mouvement, afin que l’Evangile puisse être audible dans un monde en constante évolution« . Dans cette perspective, les chrétiens progressistes seront davantage sensibles à la « relativité des formes qui transmettent le fond« . Il adopteront dès lors une souplesse plus grande, avec la volonté de se recentrer sur l’essentiel, sur l’Esprit Saint qui habite l’Eglise. En tentant de « colorer aux couleurs de la culture contemporaine l’Evangile toujours nouveau« .
Christophe HERINCKX

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