On nous avait fait croire que c’était dépassé. On l’avait fait passer pour ce qu’elle n’était pas: un truc pour les doux rêveurs et les naïfs. Ou pour les vieux. Ou pour les enfants. Un truc pas sérieux en tout cas. Plus vraiment adapté à notre temps.
Et tout à coup, un matin, on s’aperçoit qu’on a tout faux. On se rend compte que la bienveillance nous manque. Et que si elle nous manque, c’est parce qu’on en a besoin. Et que si on n’en a pas assez, ce n’est pas parce qu’elle ne serait plus adaptée à notre temps, mais parce que nous avons fait le choix de nous en passer.
Ce choix, c’est peu consciemment que nous l’avons posé. Jamais, sans doute, individuellement ni collectivement, nous sommes-nous réveillés en décidant d’être malveillants. Rarement avons-nous vraiment eu l’intention de nuire à autrui… De là à être bienveillants !
Car la bienveillance, ce n’est pas si simple. Et ce n’est pas seulement l’absence de malveillance. La bienveillance, c’est poser sur l’autre un regard aimant. C’est vouloir le bien de l’autre – de tous les autres –, et s’engager activement dans cette quête de bonheur.
Pas évident donc. Même à la maison, d’ailleurs. Vouloir le bien de sa compagne lorsqu’elle est adorable, c’est gérable. Mais quand elle se fait insupportable… Et poser un regard de bénédiction sur ses enfants lorsqu’ils se comportent comme des anges, c’est pas trop compliqué. Mais quand ils se transforment en petits démons…
Elargissons le cadre. Pensons à nos communautés et nos paroisses, ces lieux où nous sommes continuellement encouragés à vivre la charité. Cherchons-nous vraiment activement le bien de nos « frères et sœurs »? Même celui de cet organiste qui joue trop fort, de cet acolyte distrait, de ce vicaire si peu amène?
Et si, à une autre échelle encore, la bienveillance se faisait programme politique? Et si nous ne recherchions pas seulement le bien des personnes mais aussi le bien commun? Que dirions-nous alors aux jeunes fêtards du bois de la Cambre? Comment traiterions-nous les questions de sans-abrisme, de racisme ou d’homophobie? Sans doute les mesures ne seraient-elles plus faciles ni à façonner ni à prendre. Mais parce qu’elles seraient au service de tous, elles seraient aussi plus acceptables.
Et tout à coup, un matin, on se réveillerait dans un monde meilleur.
Vincent DELCORPS