Ce mercredi 6 mai à 19h, un concert sera donné à l’occasion du trentième anniversaire de l’église Sainte Marie-Madeleine à Ixelles. Sans public évidemment, mais le prêtre Zadik Avedikian de l’Eglise apostolique arménienne espère que beaucoup suivront la retransmission en direct sur sa page Facebook.
Jour pour jour il y a trente ans, le dimanche 6 mai 1990, le Patriarche Suprême et Catholicos de tous les Arméniens à l’époque, Vazguen Ier (1908-1994), était à Bruxelles pour y consacrer une nouvelle église. En effet, le nombre d’Arméniens sur le territoire belge avait largement augmenté et à la demande de la communauté arménienne, l’architecte Haik Mardikian et l’ingénieur Jacques Kupélian avaient conçu cette nouvelle église postmoderne. L’église Sainte Marie-Madeleine au coin de la rue Kindermans à Ixelles est inspirée de l’église arménienne de la Sainte-Croix datant du Xe siècle, située sur l’île d’Akdamar sur le lac de Van en Anatolie de l’Est, actuellement en Turquie.
Medz Yeghern
Zadik Avedikian (en photo) était là il y a trente ans, faisait partie de la délégation d'Arméniens français qui étaient descendus à Bruxelles pour l’occasion. Sans doute que le jeune prêtre ne s’imaginait pas du tout à ce moment-là qu’il allait être nommé recteur de cette église vingt ans plus tard et qu’il serait aujourd’hui encore et toujours le prêtre arménien apostolique et le représentant de son Eglise en Belgique. La diaspora arménienne est évidemment en premier lieu liée au "Medz Yeghern" ou "Grand Crime" de 1915 et les années suivantes, quand les Jeunes Turcs ont perpétré un génocide massif contre les Arméniens ainsi que contre d’autres minorités chrétiennes dans l’ancien empire ottoman.
Les Avedikians sont originaires de l’Arménie de l’Est – l’actuelle République d’Arménie – et n’ont donc pas vécu ce drame. "Mais dans mon ministère pastoral, tant en France qu’en Belgique, je n’ai entendu que des histoires affreuses de cette époque. Le Génocide Arménien a forgé notre identité nationale." Autre élément constitutif de cette identité nationale arménienne est la tradition de l’Eglise apostolique arménienne, une Eglise autocéphale orientale. Le Royaume arménien a en effet adopté le christianisme comme religion d’Etat en 301, une décennie avant la conversion de l’empereur romain Constantin et huit décennies avant que le christianisme ne devienne religion d’Etat de l’Empire romain.
Diaspora
Le génocide est à l’origine d’une large diaspora arménienne, dont la plus connue est sans doute celle de France: il y a plus d’un demi-million d’Arméniens en France, dont faisaient partie le chanteur Charles Aznavour, l’ancien premier ministre Edouard Balladur, l’actrice Catherine Rstakian – mieux connue sous le nom de son mari: Catherine Robbe-Grillet, le champion du monde de judo Bernard Tchoullouyan ou le cinéaste Michaël Vartan. En Belgique, jusqu’aux années soixante, le nombre d’Arméniens s'était limité à quelque cent cinquante familles. Mais depuis lors, il y a encore eu plusieurs mouvements de migrations d’Arméniens.
"Il y a encore eu plusieurs agressions en Turquie moderne contre les chrétiens d’origine arménienne ou grecque ou autre encore, par exemple à Istanbul", nous explique le Père Avedikian. Puis de nombreuses familles qui s’étaient établies au Moyen-Orient ont dû fuir la guerre – comme au Liban ou en Irak – et la prise de pouvoir par les islamistes – comme en Iran. Et après le terrible tremblement de terre en Arménie le 7 décembre 1988 et la désintégration de l’Union soviétique, des centaines de réfugiés arméniens d’Arménie, de Géorgie, d’Azerbaïdjan ont rejoint l’Europe. Enfin, à l’est et au sud-est de la Turquie, les chrétiens ont toujours été menacés, même et surtout quand ils s’étaient en partie 'kurdisés'.
Liturgie en arménien
"Il y a quelques temples protestants d’Arméniens et une infime minorité des Arméniens est catholique", dit le père Avedikian, mais la grande majorité appartient à l’Eglise arménienne dite apostolique car la tradition la fait remonter à une mission des apôtres Thaddée et Bartholomée. En Belgique, ils sont plus de trente mille aujourd'hui. "Nous sommes toujours très reconnaissants envers l’Eglise catholique qui continue à nous ouvrir les portes de ses églises pour nos services liturgiques", dit le père Avedikian, "par exemple à Courtrai, à Liège et à Malines". Mais la communauté arménienne est évidemment très fière de sa propre église; elle est souvent comble pendant les longues cérémonies liturgiques.
La langue liturgique n’est évidemment pas connue par tous. "C’est un peu du latin pour certains de mes fidèles", avoue Zadik Avedikian. C’est pourquoi le prêtre ose espérer qu’on pourra un jour intégrer au fur et à mesure la langue moderne dans la liturgie. "Mais nos évêques sont réticents. Je comprends, car cette liturgie ancienne de dix-sept siècles fait partie d’un patrimoine national. Et les Arméniens tiennent à cet héritage historique, ce qui, vu notre longue et douloureuse histoire, est parfaitement compréhensible." Cependant, le père Avedikian ose formuler le vœu qu'"Un jour, la Turquie demandera pardon et on pourra essayer - sans oublier bien sûr – de tourner la page."
Le concert festif de ce mercredi 6 mai à 19 heures sera retransmis en direct via la page Facebook du père Zadik Avedikian.
Benoit LANNOO