Climat et pauvreté, une même urgence


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Climat et pauvreté, une même urgence
Par Sophie Delhalle
Publié le - Modifié le
5 min

Le Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale présente son 10e Rapport bisannuel. Avec pour titre « Durabilité et pauvreté », deux faces d’une même urgence.

Un thème qui n’a pas été choisi au hasard, en cette année du 25e anniversaire de la création du Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l'exclusion sociale. Le titre de ce 10e rapport bisannuel traduit la volonté explicite des personnes en situation de pauvreté et de leurs associations de revendiquer leur place dans le débat sur l’avenir. Celui de la planète, le leur et celui de leurs enfants. Car, contrairement à certaines idées reçues, les personnes vivant en situation de pauvreté se préoccupent de ces questions cruciales.

Une même urgence

Elles l'ont d'ailleurs exprimé avec force, dès le début d’une concertation approfondie d'un an et demi, organisée au sein du Service, avec des personnes en situation de pauvreté, des associations, des administrations et des professionnels de nombreux secteurs : "nous entendons souvent dire que les personnes vivant en situation de pauvreté ne se soucient pas de la durabilité, qu'elles essaient toutes de survivre et que c'est tout ce dont elles ont besoin. Ce n'est pas vrai du tout ! Nous devons revendiquer notre place dans ce débat et apporter notre propre contribution. Après tout, nous savons où mène le modèle de croissance, car nous en supportons et en subissons les conséquences. Nous devons le dire clairement, car nous ne sommes considérés que comme des personnes qui ne contribuent pas et qui coûtent très cher à la société". Le Rapport bisannuel 2018-2019 mêle constats, analyses et recommandations. Avec ce message clair: la lutte contre la pauvreté revêt le même caractère d’urgence que les questions environnementales et nécessite la mise en place de mesures structurelles. Politique climatique et politique de lutte contre la pauvreté vont de pair.

Premières victimes climatiques

Les clichés ont la vie dure. Celui, par exemple, qui voudrait qu’une personne en situation de pauvreté ne s’intéresse pas du tout à l’avenir de la planète. Quand on y regarde de plus près, pourtant, l’impact de ces personnes sur l'environnement - ou leur " empreinte écologique " - est souvent inférieur à celui du citoyen moyen. Elles sont déjà 'à la pointe' en matière d'économies d'énergie et d'eau, et se débrouillent avec de la réutilisation. La concertation a permis de constater que les personnes en situation de pauvreté, souvent par nécessité ou choix forcé, vivent d’une manière qui diminue leur empreinte écologique. Autre constat : les évolutions climatiques et environnementales font ressortir avec force les inégalités existantes. Les personnes en situation de pauvreté sont davantage exposées à la pollution, parce qu'elles vivent et travaillent plus souvent dans des endroits plus pollués. Une mauvaise santé peut également les rendre plus sensibles à cette pollution. Elles sont souvent les premières à subir les conséquences des changements climatiques et environnementaux, sans disposer des leviers pour s’en protéger.

La pauvreté comme pierre d'angle

Dans le même temps, les personnes précarisées ne bénéficient pas, ou à peine, des politiques orientées vers la durabilité, explique Henk Van Hootegem, coordinateur du Service de lutte contre la pauvreté : “les propriétaires à faibles revenus, mais aussi certainement les locataires, profitent peu des primes favorisant les économies d'énergie. Ces politiques peuvent même avoir des conséquences négatives sur les personnes en situation de pauvreté, comme c'est le cas avec l'interdiction des voitures polluantes dans les villes, là où des zones de basses émissions ont été instaurées. Lutter pour la durabilité, c'est lutter contre ces inégalités. En l’occurrence, cela signifie choisir résolument d'investir dans la construction et la rénovation durables de logements sociaux et dans un système de transports publics fort".

Pour Henk Van Hootegem, il est également indispensable, dans la prise en charge de cette problématique, d'impliquer tous les acteurs concernés: "les différents gouvernements du pays - mais aussi tous ceux qui mettent en place des initiatives pour plus de durabilité - devraient systématiquement utiliser les situations de pauvreté comme point de départ et pierre d’angle de la réalisation des droits fondamentaux de chacun. Cela peut se faire, par exemple, en évaluant, dès son élaboration (évaluation ex ante), l'impact possible d’une politique ou d’une mesure sur les personnes en situation de pauvreté, afin de les ajuster si nécessaire. Il est essentiel d'impliquer les personnes et les différentes parties prenantes à ce processus".

Un risque croissant

Ce 10e rapport bisannuel fait également le constat d'une politique générale qui peine à atteindre les objectifs de réduction de la pauvreté qui ont été fixés ces dernières années. La Stratégie Europe 2020 prévoyait de réduire de 380 000 unités le nombre de personnes en situation de pauvreté ou d'exclusion sociale en Belgique d'ici 2020. Or, le nombre de personnes concernées n’a pratiquement pas évolué par rapport à celui qui prévalait lors du lancement de la Stratégie Europe 2020 (2 250 000 en 2018 contre 2 194 000 en 2008). Le nombre de personnes en situation de risque de pauvreté a même augmenté depuis que l’on procède à des évaluations systématiques (16,4% contre 14,8% en 2005), révèle le rapport. La politique climatique - et la mise en œuvre des objectifs de développement durable – doit voir sa dimension sociale renforcée, pour permettre aux personnes en situation de pauvreté de voir leur situation s’améliorer. Ainsi, la lutte contre la pauvreté devrait s'inscrire au cœur de la politique de durabilité.

Pour une politique plus ambitieuse

En réalité, il existe une convergence évidente entre le objectifs sociaux et écologiques. La construction et la rénovation de logements durables - pour les propriétaires à faible revenu et pour les locataires sociaux et privés - en sont une parfaite illustration : rénover des logements permet de réaliser des économies d’énergie et crée des emplois de qualité, tout en améliorant la santé des occupants. Autre exemple : améliorer l’offre des transports publics permet un meilleur accès aux services de base tout en réduisant les émissions de gaz polluants. Henk Van Hootegem conclut : “une politique ambitieuse en matière de durabilité et de lutte contre la pauvreté exige une coopération forte, non seulement sur le terrain, mais aussi et surtout entre les acteurs politiques de tous les niveaux de pouvoir." Un appel est donc lancé à la Conférence interministérielle Intégration dans la société et à celle du Développement durable pour se réunir et élaborer ensemble une politique combinant durabilité et pauvreté, "afin de ne laisser personne sur le bord de la route”.

S.D.

Illustrations: pixabay CCO

Le 10e Rapport bisannuel du Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale est disponible sur le site : www.luttepauvrete.be


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