Dans son homélie de Pâques, le cardinal Jozef De Kesel appelle à tourner le dos à une « société basée sur la division et la haine ». En évoquant l’origine juive de Pâques, le cardinal rappelle l’histoire d’un peuple contraint à l’exil pour fuir l’esclavage et l’oppression: « jadis ils ont été eux-mêmes des réfugiés, des esclaves en Egypte. Cela ils ne pouvaient l’oublier. C’est pour cela qu’ils fêtent la Pâque chaque année. »
L’archevêque de Malines-Bruxelles a également salué le geste du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, qui a donné sa vie pour sauver celle d’une autre. Dans le magazine La Vie, Marielle Beltrame, l’épouse du gendarme assassiné, avait témoigné de la foi qui animait son mari, précisant que son geste était celui d’un gendarme et d’un chrétien et qu’on ne pouvait séparer l’un de l’autre. « Dans ce qu’il a fait, commente le cardinal De Kesel, nous pouvons voir une lueur de ce que signifie le mystère pascal. Toute personne qui, comme Jésus, succombe à la mort, peut ainsi être capable de l’affronter et de la vaincre. C’est l’amour qui enlève sa force à la mort. Il n’y a pas de plus grand amour que celui qui donne sa vie ».
Ci-dessous, l’homélie du cardinal De Kesel pour Pâques 2018.
Ce n’est pas Jésus qui a institué la fête de Pâques. Pâques est d’origine juive et les Juifs la célèbre encore toujours. Son origine remonte bien loin dans le passé. Elle fait référence à la situation bien pénible d’un groupe de tribus sémites en Egypte. L’Egypte était alors un pays florissant doté d’une culture très riche. Mais cette puissance et cette richesse cachaient aussi beaucoup d’injustice et d’oppression. Ces migrants n’étaient pas seulement une main d’œuvre à bon marché, ils étaient des esclaves. A un moment donné, ils ont fui, comme beaucoup de réfugiés aujourd’hui. Ils ont risqué le départ, l’exode, et cela leur a réussi. Ils ont risqué la traversée, le passage – la pascha. Au travers de tous ces événements, ils ont reconnu la voix de Celui qui les y avait appelés.
En soi, ce n’est pas un événement très spectaculaire. L’histoire du monde en fait à peine mention. Mais c’est devenu une longue histoire, l’histoire de Dieu avec son peuple dont témoigne toute la Bible. Ils ont longuement erré et ont conclu une alliance avec Dieu. Dorénavant, ils ne traiteraient plus personne de la manière dont eux-mêmes ont été traités en Egypte, même pas l’étranger parmi eux. S’ils venaient à trouver un pays pour s’y fixer, ils y vivraient en pleine liberté et dans le respect pour chacun. Tel était l’accord, l’alliance avec Dieu. Ils ont fait de leur mieux, avec des hauts et des bas. Mais chaque fois on leur rappelait le tout début : jadis ils ont été eux-mêmes des réfugiés, des esclaves en Egypte. Cela ils ne pouvaient l’oublier. C’est pour cela qu’ils fêtent la Pâque chaque année.
C’est pour cette raison que Pâques est la fête de l’espérance, de la libération, du salut. Lorsque nous aussi, chrétiens, nous fêtons Pâques, nous nous souvenons avec la Communauté Juive, de ce début: « lorsque nous étions esclaves en Egypte ». Pâques provient du mot pascha qui signifie passage. Il s’agit du passage des ténèbres à la lumière, de la haine à l’amour, de l’injustice à l’humanité, de la mort à la vie. Telle est la signification de la fête chrétienne de Pâques : que la mort qui est, comme le dit saint Paul, le dernier ennemi de l’homme, n’a pas le dernier mot ; que le Christ a vaincu la mort et qu’il nous invite à abandonner tout mal et tout péché, toute haine et toute terreur, toute désunion et toute division, toute banalité et tout non-sens qui conduit à la mort.
Car la mort ne se produit pas qu’à la fin de notre vie. La résurrection ne regarde pas que la vie après la mort. La mort domine au cœur de la vie, partout où la vie est menacée ou entravée, là où les hommes rendent la vie impossible les uns aux autres. Nous devons tourner le dos à une société basée ainsi sur la division et la haine. C’est alors que nous serons libérés en vue d’une vie nouvelle dans laquelle le Christ nous a précédés.
Chers Amis, toute la France est en deuil ces jours-ci pour ce qui est arrivé au lieutenant-colonel Arnaud Beltrame. Toute la France et nous avec elle, nous admirons avec un grand respect ce qu’il a fait. Il a pris la place d’une femme prise en otage, et est mort à sa place. Le sens civique lui tenait à cœur, avec un grand sentiment de responsabilité, fier de son pays et de sa riche tradition. Il était devenu aussi un chrétien convaincu. Citoyen et chrétien, on ne pas les séparer. Dans ce qu’il a fait, nous pouvons voir une lueur de ce que signifie le mystère pascal. Toute personne qui, comme Jésus, succombe à la mort, peut ainsi être capable de l’affronter et de la vaincre. C’est l’amour qui enlève sa force à la mort. Il n’y a pas de plus grand amour que celui qui donne sa vie.
Chers amis, si nous célébrons Pâques aujourd’hui, c’est parce qu’à notre tour nous sommes prêts à risquer le passage des ténèbres à la lumière, de la haine à l’amour, de la mort à la vie.
C’est bien pour cette raison que les nouveaux chrétiens sont baptisés à Pâques. C’est pour cette raison aussi que ceux qui sont baptisés renouvellent leurs promesses de baptême. Pour proclamer que nous croyons en Dieu qui est l’Amour même. Pour aussi nous engager pour une société où nous pouvons partager avec respect la vie. Non pas chacun pour soi, seulement préoccupé de soi-même, à la recherche de son propre profit. Mais ensemble, solidaires, sans exclure personne, surtout ceux qui sont dans le besoin, qui ont dû quitter leur pays sans avenir ou perspective. Dieu nous appelle à vivre, mais aussi à partager cette vie. Car en vérité, nous ne sommes pas des étrangers les uns pour les autres, nous ne sommes pas des rivaux mais des compagnons et des concitoyens, des frères et des sœurs, des enfants de Dieu, appelés à la vie et à la fraternité.
Cardinal Joseph De Kesel
Archevêque Malines-Bruxelles