Dans l’émission "Parole aux Eglises", diffusée sur RCF le 28 octobre 2016, Mgr Jean-Pierre Delville souligne le sens de la visite du pape à Lund en Suède ce lundi 31 octobre, à l’occasion des 500 ans de la Réforme protestante et des 50 ans de dialogue entre catholiques et luthériens. Voici le texte de l’intervention de l’évêque de Liège.
C’est le 31 octobre 1517 que Martin Luther a affiché ses 95 thèses contre les indulgences sur la porte de l’église de Wittenberg. On peut considérer que cet événement est le démarrage de la réforme protestante. Il est logique que les protestants célèbrent cet anniversaire: chaque année, le 31 octobre, est pour eux la fête de la Réforme. Mais convient-il que les catholiques s’associent à ce jubilé et convient-il que le pape fasse le déplacement en Suède pour inaugurer ces célébrations - un an avant le jubilé officiel?
En fait, le pape a donné une réponse en disant qu’on célébrerait à la fois une repentance, une action de grâces et un engagement à témoigner. L’objectif est donc de rendre grâce pour les dons de la réforme et de demander pardon pour la division perpétuée par les chrétiens. Les dons de la réforme, a-t-il affirmé récemment, c'est le processus d’une réforme de l’Eglise, qui est toujours à mettre en œuvre, et c’est le développement de la lecture de la Bible par tous les chrétiens.
J’ajouterais un élément historique. Lorsque Luther s’est élevé contre certains aspects de l’Eglise de son temps, celle-ci se trouvait dans une culture très particulière, la culture de la fin du Moyen Age. Le monde vivait dans une mentalité caractérisée par la juxtaposition des sens. Chaque chose avait plusieurs sens. On était dans une culture de l’allégorie et du symbole. Ainsi chaque passage de la Bible, par exemple, pouvait être interprété traditionnellement de quatre façons différentes. Cela entraînait une grande complexité. A cela s’ajouta la découverte de l’Afrique et de l’Amérique. Cela procura un vertige culturel. Le culte exagéré des reliques et la corruption de l’Eglise font un peu partie de ce vertige. Une rupture était nécessaire. L’humanisme, avec sa recherche de rationalité et d’unicité de sens, était l’outil pour surmonter la diversité et la confusion des choses. Mais il fallait quelqu’un qui l’utilise de manière radicale.
C’est ce que fit Luther, en affirmant que l’Ecriture n’a qu’un seul sens, celui qui relève de l’intention du Christ. Sur cette base, il développa une réforme de l’Eglise et grâce à cet impact, l’Eglise romaine fit sa propre réforme lors du Concile de Trente, à partir de 1545. On peut donc dire que la réforme de l’Eglise n’aurait pas eu lieu si Luther n’avait, à un moment, opéré une rupture dans les mentalités. Ce fut un choc salutaire, même s’il occasionna des traumatismes. Aujourd’hui encore, l’Eglise a besoin d’une réforme, c’est ce que le pape François promeut, mais en évitant des ruptures; il veut une réforme marquée par la miséricorde et la fraternité. C’est pourquoi il a décidé d’être le premier pèlerin de l’année jubilaire de la Réforme et de nous interpeller tous sur notre engagement pour réformer notre Eglise et notre monde.
Mgr Jean-Pierre Delville, évêque du diocèse de Liège
Image: portrait de Martin Luther par Lucas Cranach l'Ancien (domaine public)