S’ennuyer : quelle richesse !


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S’ennuyer : quelle  richesse !
Par La rédaction
Publié le - Modifié le
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Septembre. Rentrée des classes. Retour des rituels, après la joyeuse effervescence un peu brouillonne de ces jours où rien n’est tout à fait obligatoire. "Alors, qu’as-tu fait aujourd’hui en classe?". La question est l’un de ces rites, assez prévisible pour que le parent se sente rassuré (il/elle s’intéresse à la vie scolaire de son enfant), assez large pour que l’enfant puisse y répondre sans trop s’engager. Cela va de la liste détaillée des activités vécues (ouf! il/elle a l’air de s’intéresser aux cours…) au "je n’sais plus…" déjà inquiétant, en passant par la formule passe-partout "ben… des tas de choses !" Au fond, la seule réponse vraiment insupportable serait: "Rien". Comment ça, rien? Tu n’as rien fait? Ce n’est pas possible…

Elie Wiesel racontait que, lorsqu’il revenait de l’école, la seule chose que lui demandait son père était: "Quelle bonne question as-tu posée aujourd’hui?" Vertigineux déplacement, qui privilégie la curiosité à la passivité… De nos jours, non seulement il n’est pas sûr que ce déplacement ait abouti, mais l’obligation d’efficacité, omniprésente dans la vie économique, a fini par s’installer dans la vie tout court, y compris dès le plus jeune âge. Où qu’il soit, un enfant doit "être occupé", il doit avoir des occupations, non seulement pendant le temps scolaire mais encore pendant ses loisirs. Entre sport, musique, mouvement de jeunesse, stage et cours de rattrapage, l’enfant (et ses parents) gère un agenda digne parfois d’un PDG – un Petit Déjà Gérant…

Laisser l’esprit s’évader

L’occupation, être occupé: le vocabulaire est pourtant celui de la guerre. Etre occupé, c’est voir son territoire propre envahi par un ennemi extérieur, qui s’y installe et prend les commandes. Pas d’autonomie, liberté réduite, comptes à rendre… Cela paraît détestable et la résistance à l’occupant est presque un devoir. Pourquoi donc faudrait-il que nos esprits, et celui de nos enfants, soient en permanence occupés? Ah mais, c’est qu’une autre ennemie les menace, venue tout droit de ces temps, pas si éloignés, où le progrès avait besoin de travailleurs acharnés: la paresse! La paresse, ce péché capital qui, on ne le sait pas assez, désignait dans la Tradition une forme de dépression spirituelle, et non la propension à ne rien faire de ses dix doigts… "Les mains ne doivent jamais rester inactives", disait-on autrefois. Les mains peut-être, mais cela permettait au moins de préserver le reste: à quoi pensaient nos aïeules, lorsqu’elles filaient la laine, pétrissaient le pain, tricotaient un châle? A quoi rêvaient-elles en ravaudant?
Avoir l’esprit occupé, c’est ne plus disposer d’espace à soi, pour soi – ou pour autrui, pour le monde environnant. C’est évacuer le vide, empêcher l’âme de prendre des chemins buissonniers, enclore le rêve possible. Le créateur, l’artiste, le contemplatif qui sommeille en chaque être humain se voit assigné à résidence, emprisonné, réduit au silence. Peut-être l’ennui, ce repoussoir éducatif, est-il cependant le tunnel incommode par où l’esprit peut s’évader. Sans doute est-il aussi le fruit un peu blet d’une société où l’hyperactivité est la norme. Un petit enfant ne s’ennuie jamais, au sens propre: il joue, s’amuse de la poussière qui danse dans un rayon de soleil, contemple ses orteils comme s’il s’agissait de mystérieux animaux. Il se raconte des histoires, parle à ses peluches, empile des blocs en des assemblages inédits. Ce n’est que plus tard, lorsque sa vie aura été organisée de l’extérieur – c’est l’heure du goûter, du bain, du rangement de jouets… – qu’il va éprouver une forme de gêne s’il se permet d’habiter ces mystérieux territoires où l’imagination est reine, où le temps s’échappe de l’horloge, où l’espace lui appartient tout entier. "Je m’ennuie, j’ai rien à faire", est une phrase apprise des adultes…
Septembre marque, dit-on, la "reprise des activités" – comme si tout ce qui a été vécu pendant les vacances comptait pour rien, comme si seule comptait l’efficience. Rendons aux enfants le droit de s’ennuyer: c’est vital pour eux. Et ça nous en réveillera peut-être l’envie…
Myriam Tonus

Retrouvez chaque mois la rubrique de Myriam Tonus dans le journal Dimanche. Footer-Dim-1

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