Jusqu’où ira le régime syrien ? Apparemment, Bachar al-Assad préfère la fuite en avant plutôt qu’une solution pacifique au conflit qui déchire son pays. A l’image du colonel Kadhafi en Lybie, le président syrien préfère la logique guerrière alors que son régime se désagrège de l’intérieur et vacille. Les défections se succèdent et les Sunnites qui soutiennent le régime semblent avoir décidé de le lâcher. En attendant, Alep et bombardée sans relâche.
En période de conflit, la guerre des mots et la désinformation sont aussi des armes. Il est donc difficile de se faire une idée précise sur les circonstances de la dernière défection en date ; celle du premier ministre Riyad Hijab, nommé il y a à peine deux mois par Bachar al-Assad. Mais, une chose est sûre : qu’il ait été limogé – comme l’affirme le régime – ou qu’il ait rejoint l’opposition –comme il le prétend – son départ est un nouveau coup dur pour le président Assad. C’est la plus importante défection à laquelle Damas doit faire face en près de dix-sept mois de révolte. Elle représente aussi un signe : le clan sunnite reste divisé. Une partie se bat dans les rangs de l’opposition, l’autre soutient le régime syrien. Mais, ces partisans du régime semblent à leur tour se diviser, comme en témoigne la fuite du chef du gouvernement. Celui-ci n’a pas hésité à accuser le président et son clan de « crimes de guerre, de génocide contre un peuple sans armes ». Et de préciser : « J’annonce ma défection du régime meurtrier et terroriste pour rejoindre les rangs de l’opposition dont je deviens l’un des soldats ». Lâchage tardif aux yeux de certains, mais qui en dit long sur la division des dignitaires sunnites du régime, alors que d’autres défections importantes ont déjà eu lieu comme celles de Manaf Tlass, général de la Garde républicaine et ami intime de Bachar al-Assad, ou encore celle du premier cosmonaute syrien, le général Mohammad Ahmad Fares, réfugié en Turquie.
Un président isolé et un pouvoir chancelant
L’annonce de la défection de Riad Hijab est intervenue quelques heures après un attentat au siège de la radiotélévision d’Etat qui n’a fait que des blessés légers. Une bombe a explosé au troisième étage de l’immeuble, qui abrite la direction générale. Le bâtiment est pourtant ultrasécurisé. Cette attaque a une portée symbolique car elle a visé le principal outil d’information du régime, dans un quartier ultra-protégé de la capitale. De plus, elle est intervenue alors que l’armée avait affirmé contrôler totalement la capitale.
Tous ces éléments démontrent que le pouvoir est en train de vaciller. Les Sunnites soutenant le président avaient déjà été ébranlés avec l’attentat qui avait coûté la vie au beau-frère de Bachar al-Assad et à deux autres responsables, d’origine sunnites. Les rebelles – sunnites eux aussi – avaient réussi à les cibler. L’objectif était aussi d’encourager les défections parmi les responsables sunnites de haut rang, qui ont peur de se faire assassiner à leur tour. Cela peut également pousser à la défection des officiers sunnites, qui ont été marginalisés pendant des années. La défection du premier ministre s’inscrit dans cette logique.
Mais, dans ce conflit, la dimension religieuse représente un élément non négligeable. Si une partie des sunnites soutiennent depuis toujours le régime et le parti Baas, il ne faut pas oublier que le clan Assad fait partie de la minorité alaouite. Pendant de nombreux siècles, les Alaouites ont été les gens les plus faibles, les plus pauvres et les plus méprisés de Syrie. Avec Hafez al-Assad, père de l’actuel président, ils se sont transformés en élite dirigeante et aujourd’hui, les Alaouites contrôlent le gouvernement, détiennent les postes militaires clés. Ce qui ne manque pas de créer des jalousies.
Repli dans le fief alaouite ?
Cette situation pourrait conduire, en cas de guerre « au finish », le clan Assad et les alaouites de Damas à se retirer sur la côte, dans leur fief, en cas de perte de la capitale. C’est le scénario avancé par Fabrice Balanche, directeur du groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à l’université Lyon-II. Pour lui, c’est l’ultime recours en cas de perte du pouvoir ou de guerre civile à outrance. « La minorité alaouite peut défendre un réduit le long de la côte. La population lui est acquise. L’armée alaouite défendrait alors son territoire, et non pas comme aujourd’hui un régime corrompu. Actuellement, il y a un regain de religiosité chez les alaouites. Ce n’est pas innocent. Certains d’entre eux accusent même la famille Assad d’avoir cassé le sentiment identitaire alaouite. Un institut culturel alaouite est en train d’être monté à Tartous, témoignant de cette montée en puissance d’un mouvement identitaire. Les Assad pourront en jouer s’il le faut », a-t-il déclaré en juillet dernier au quotidien Le Figaro. Ajoutant de surcroît qu’économiquement, un réduit alaouite peut survivre, car la région est riche d’un point de vue agricole et dispose d’un aéroport à Lattaquié, d’un port à Tartous et d’un terminal pétrolier à Baniyas. « Tout a été constitué depuis l’accession au pouvoir de Hafez el-Assad pour pouvoir transformer cette région en réduit alaouite, au cas où », a poursuivi M. Balanche qui rappelle que ce réduit alaouite jouit de défenses importantes, avec des bases militaires dans la montagne. Ce mini-état pourrait avoir le soutien de l’Iran, de la Russie qui conserverait la base militaire de Tartous. « Et pourquoi pas d’Israël, qui pourrait voir d’un bon œil son voisin imploser et être remplacé par un État communautaire ? », s’est encore interrogé le spécialiste français.
L’escalade qui marque le conflit démontre que, face à cette situation inter-religieuse, une guerre civile communautaire opposant les sunnites aux Alaouites, avec comme victime collatérale les chrétiens, n’est pas à exclure. C’est ce qui s’est passé dans la ville de Homs, que des milliers d’Alaouites et de chrétiens ont abandonné pour se réfugier dans la région côtière, où ils sont dominants, afin d’échapper aux attaques dont ils étaient quotidiennement victimes. Et ce même scénario est en train de se jouer à Alep, bombardée sans relâche depuis la fuite du premier ministre. Cela rappelle le mouvement qui eut lieu lors de la révolte des Frères musulmans, entre 1979 et 1982, où des milliers d’Alaouites avaient fui Alep pour trouver refuge à Lattaquié. Le chef par intérim de la Mission de supervision des Nations Unies en Syrie (MISNUS), le Général Babacar Gaye, a attiré lundi l’attention sur le sort des civils à Alep, touchés par les combats qui font rage dans cette ville. « Je suis très préoccupé par la poursuite des violences en Syrie, et particulièrement par la détérioration de la situation à Alep et l’impact des combats sur la population », a-t-il déclaré dans un communiqué de presse. « J’exhorte les parties prenantes à protéger les civils et à respecter leurs obligations, conformément au droit humanitaire international. Les civils ne doivent pas être pris pour cible par l’artillerie et les armes lourdes », a-t-il rappelé.
Quel sera la suite des événements ? Difficile à prévoir. Au vu de ce qui se passe, le président Assad donne l’impression d’être dans une logique « jusqu’au boutiste ». Le rôle de la communauté internationale est aussi imprévisible, tant que la Russie et la Chine poursuivront leur blocage au Conseil de sécurité des Nations Unies. L’enjeu régional est aussi à prendre en considération, car plusieurs états ne souhaitent pas voir s’installer un pouvoir salafiste à Damas. Et la crainte d’une guerre communautaire ranime aussi les appréhensions au Liban, où le pape se rendra en septembre. Un voyage attendu mais à haut risque politique pour le souverain pontife.
Mais, au-delà des enjeux stratégiques géopolitiques et de la lutte pour le pouvoir, il y a une population qui souffre, des civils qui meurent chaque jour, des familles brisées et des enfants assassinés. Cela, il ne faut pas l’oublier !
Jean-Jacques Durré