Récemment, le débat s'est intensifié à coups de lettres ouvertes et cartes blanches interposées. Retour sur les arguments des différents camps pour éclairer cette question : qui entrave le chemin du bouddhisme vers une reconnaissance officielle en Belgique ? Un processus entamé il y a plus de... 18 ans !
Initié en 2006, le processus de reconnaissance officielle du bouddhisme en Belgique, en tant que philosophie non confessionnelle, n’a toujours pas abouti. Pour l’abbé Eric de Beukelaer, la raison de cette non-reconnaissance est à chercher du côté du monde laïque : "Il s'agit de la volonté politique du Centre d'Action Laïque de demeurer le seul et unique représentant, et donc porte-voix, de la future doctrine laïque à inscrire dans notre Constitution" écrivait-il dans La Libre, le 9 juillet 2024.
"La récente non-reconnaissance du bouddhisme offre une nouvelle illustration de mes craintes. Après 18 ans de patience, ce dossier est toujours en attente de par l'opposition du monde laïque."
Abbé Eric de Beukelaer, opinion dans La Libre, 9 juillet 2024.
Une tribune qui avait fait l’objet d’un (violent) droit de réponse du Centre d’Action Laïque quelques jours plus tard. Sa présidente, Véronique De Keyser, y dénonçait "une vision complotiste et affairiste" du prêtre, "comme, par exemple, quand il évoque le rôle du CAL quant à la procédure, pourtant strictement parlementaire, de la reconnaissance de l'Union Bouddhiste de Belgique".
En octobre 2024, nous donnions la parole, dans le journal Dimanche (n°36, p. 8-9), aux deux parties opposées dans ce débat. D’abord à Carlo Luyckx, président de l’Union bouddhiste de Belgique (UBB), qui réaffirmait que "le CAL veut garder le monopole des philosophies non confessionnelles". Puis au Centre d’Action Laïque, qui réfutait cette accusation de monopole, justifiant son interférence politique par "un arrêt récent de la Cour européenne des Droits de l’homme qui exigeait de l’Etat belge qu’il adopte une législation claire (…) pour la reconnaissance des différentes convictions".
"Nous ne sommes pas du tout inquiets des conséquences d’une reconnaissance d’autres philosophies non confessionnelles, nous ne souhaitons nullement en avoir le monopole."
Hervé Parmentier, directeur de la Cellule Communication du CAL, à Dimanche, 13 octobre 2024.
Le débat ne s'est pas arrêté aux portes de 2024...
Le 31 décembre dernier, Eric de Beukelaer est revenu, à travers une nouvelle chronique dans La Libre, sur cette justification juridique du CAL : "L'argument ne vaut pas. La Cour appelle, certes, à une future clarification du droit belge, mais sûrement pas au report d'une demande du bouddhisme déclarée recevable depuis 2008, soit hors de tout délai raisonnable.
Dénonçant une claire interférence du CAL dans le processus, il rappelle que "la jurisprudence européenne condamne par ailleurs précisément toute immixtion d'une dénomination dans la reconnaissance d'une autre… Or, c'est bien ce qu'on lit dans l'argumentation du CAL reprise, peu après dans Le Soir (18/10) : "Nous continuons à̀ penser que le bouddhisme est une religion"."
L'abbé demande dès lors "que chacun dans ce pays laisse les bouddhistes se définir comme ils jugent approprié, en l'occurrence comme 'philosophie non confessionnelle' ".
Quatre jours plus tard, un nouvel interlocuteur s’invite dans le débat. André Lacroix, ancien enseignant et auteur de Dharamsalades (livre dans lequel il dénonce les fake news du dalaï-lama et son "gouvernement en exil" à Dharamsala), contredit l’abbé par une lettre ouverte, arguant que "le bouddhisme est une religion et est pratiqué comme telle". Pour affirmer son propos, il énumère quatorze critères, définis par la sociologue française Nathalie Heinich pour caractériser les religions d’un point de vue sociologique : les fonctions séparatrice, figurationnelle, rituelle, sotériologique, thaumaturgique, cultuelle... Verdict d'André Lacroix : "Le bouddhisme coche toutes les cases".
D'après lui, "si l’UBB avait tout simplement demandé sa reconnaissance au même titre que les cinq autres cultes déjà reconnus, il y a longtemps qu’elle aurait obtenu gain de cause."
"La prétention de Carlo Luyckx, c’est donc, selon les points de vue, une première mondiale ou bien une blague belge, voire même une injure à l’intelligence."
André Lacroix, lettre ouverte, 4 janvier 2025
Une lettre bien parvenue au Vicaire général de Liège qui, sur son blog ericdebeukelaer.be, reproduit son contenu et réplique par un argument juridique précis : "Le Conseil d’Etat est clair : Le choix de la reconnaissance entre un culte et une organisation philosophique non confessionnelle, est une question interne à ce culte ou cette organisation philosophique non confessionnelle (12/06/23)."
S'appuyant sur le qualificatif de "blague belge" employé par André Lacroix, Éric de Beukelaer conclut sa réponse en ces termes : "Bref, s’il y a bien une "blague belge", elle se situe dans le camp laïque. Voilà des personnes qui se veulent les représentants d’un état libre d’interférences des convictions religieuses et philosophiques sur le politique et qui interfèrent dans une démarche politique entre l’Etat et une autre conviction, transgressant de la sorte la neutralité de l’Etat."
Affaire à suivre donc…