Dans La femme minérale, Nathalie Bénézet, engagée à ATD Quart Monde, part d’un "drame de la misère" découvert dans un journal local pour nous donner doucement à entendre les voix de ceux que notre monde refuse de voir.
Nathalie Bénézet, autrice de plusieurs romans, est aussi directrice du Centre de Mémoire et de Recherche Joseph Wresinski d’ATD Quart Monde, une association pour laquelle elle a beaucoup voyagé à l’étranger.
La narratrice de son dernier roman, La femme minérale, revient justement de l’étranger, et se ressource dans une maison familiale du sud de la France. En ce moment de flottement et d’entre-deux, elle tombe sur un fait divers du journal local qui décrit un "drame de la misère".
Des parents désespérés de ne pas s’en sortir se sont barricadés avec leurs jumeaux, qu’on a fait hospitaliser, et ont été déchus de leurs droits. Une histoire qui la travaille au plus profond. “Je me demandais ce qui s’était vraiment passé. J’ai pensé à eux comme s’ils étaient des proches. Et je les imaginais seuls, sans les petits, sans plus le droit de les approcher ni de les voir, jamais. […] Je n’arrivais pas à imaginer ce qu’ils allaient faire. Qu’est-ce qu’on peut faire après ça?”
"Parce qu’ils sont seuls"
La narratrice note le nom de l’avocat, Samuel V., et prend contact avec lui. Quand il lui demande pourquoi elle veut rencontrer ces gens, elle s’entend répondre: “Parce qu’ils sont seuls.” Cette solitude, elle sait combien elle l’habite aussi, avec les drames de son passé et les voix de cette "couleuvre" intérieure épuisante. Elle la pressent chez Samuel, touchant quand il évoque son échec à rejoindre Constance et Joël. Et elle se met à leur recherche, au hasard de rencontres et souvenirs d’autres personnes qui “n’ont jamais eu de place, ou […] qui n’ont eu que le point de leur solitude à habiter”. Délicate et tenace, elle est finalement invitée à franchir le seuil et à accompagner Constance et Joël à une audience à la Cour où ils sont seuls à se défendre.
Seule contre tous, Constance déclarera: “Si on s’est bouclés comme ça, […] c’est parce qu’on savait qu’on nous les prendrait. […] Maintenant on nous les a pris, j’ai plus rien à dire sur ça. […] Si je suis venue […] c’est parce qu’il faudrait enlever le mot maltraitance du rapport, c’est tout ce qu’on demande, mon mari et moi.”
A travers les rhizomes d’un simple fait divers, Nathalie Bénézet esquisse avec pudeur, finesse et un brin d’humour la toile de tout un peuple invisible et souterrain, qui pourrait servir de boussole à notre monde en crise. “Peut-être que l’expérience de tous les Constance et Joël, leur expérience de l’indemne, ça peut compter maintenant. […] Jamais personne n’attend quelque chose de gens comme eux. Mais c’est peut-être de là que ça viendra? C’est ça que je me dis, que ça viendra de cette résistance à l’effondrement.”
Christel VISÉE
📚 Nathalie Bénézet, La femme minérale. Ed. Maurice Nadeau, 2024, 112 pages.