Godvergeten a remis au devant de l’actualité la question du financement de l’Eglise. Pourtant, plusieurs semaines avant la diffusion de la série-docu, l’on apprenait l’existence d’une note, déposée sur la table du gouvernement wallon, dessinant les contours d’une future réforme des fabriques d’église. Fusions, plafonnement des subventions, régionalisation de cultes… Jean-François Husson, chargé de cours à l’UCLouvain et chargé de cours invité à l’ULiège, émet plusieurs réserves.

Les pistes évoquées pour rationaliser les fabriques d’église
Trois mesures concrètes et fortes évoquées dans la note du ministre des Pouvoirs Publics, Christophe Collignon : régionaliser 5 des 6 cultes reconnus (serait exempté le culte catholique qui resterait sous tutelle communale); plafonner à 30% l’intervention financière publique hors charges d’investissement et pousser les fabriques d’église à fusionner. Avec un objectif chiffré d’une fabrique d’église pour 8.000 habitants, soit la suppression d’un tiers des 2.000 fabriques actuelles.
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Le 18 septembre dernier, le ministre socialiste déclarait au quotidien l’Avenir suite à la diffusion des différentes pistes évoquées dans la note : “La réforme des fabriques d’église, c’est l’Arlésienne. Tout le monde dit qu’il faut faire quelque chose, dans l’intérêt de tous et pour une gestion optimale des deniers publics. Mais les législatures passent et ça ne porte pas ses fruits. »
Jean-François Husson en sait quelque chose. Le chargé de cours à l’UCLouvain et chargé de cours invité à l’ULiège et coordinateur de l’ORACLE (Observatoire des Relations Administratives entre les Cultes, la Laïcité organisée et L’Etat), a participé, lors de la précédente législature, à l’élaboration d’un rapport parlementaire sur la législation des cultes en Wallonie, en vue de faire un état de la situation et dégager des pistes de réforme.
« Un rapport qui déboucha à l’époque sur un groupe de travail où les quatre partis parlementaires – MR, Ecolo, PS et CDH – étaient représentés » se rappelle Jean-François Husson. « Il y a eu des auditions des représentants des cultes sur base du rapport qui avait été produit, par rapport à leurs attentes et leurs réflexions sur la question. À partir de cela, le groupe de travail, complété de deux experts, Caroline Sägesser (du CRISP NDLR) et moi, nous avons poursuivi le travail ensemble. De l’ensemble des scénarios possibles qui étaient dressés dans le rapport parlementaire, on a peaufiné, affiné et on est abouti à un texte qui, à l’époque, faisait consensus, que ce soit en matière d’organisation que de comptabilité. »
Un travail qui prendra subitement fin en 2019 en raison, d’abord, des ennuis politico-judiciaires de Dimitri Fourny, chef de groupe CDH ; ensuite du changement de législature opéré suite aux élections de 2019. Victime collatérale de ces deux épisodes politiques, le dossier du financement public des cultes, malgré son état avancé, n’a jamais été remis sur la table après la réinstallation du Parlement wallon. Jusqu’à l’annonce soudaine, le mois dernier, de cette note émanant du cabinet Collignon. Mais, dès lors, que pense Jean-François Husson des mesures évoquées dans ce document ?
Interview de Jean-François Husson
CathoBel : Pourquoi les politiques veulent-ils s’emparer de ce dossier des fabriques d’église ? Quelle sont leurs motivations ?

Jean-François Husson : Je dirais qu’il y a une double préoccupation du côté des politiques. D’une part de moderniser et d’adapter la législation, puisqu’on est quand même avec une législation qui remonte à Napoléon. Qui a beaucoup d’avantages certes, mais qui a aussi toute une série de zones d’ombre ou d’éléments qui sont obsolètes. La deuxième préoccupation fait suite à la reconnaissance de nouveaux cultes. Les politiques souhaitent se doter d’un système qui, plutôt que d’avoir des réglementations propres pour chaque culte, soit désormais uniformisé ou en tout cas plus harmonisé, tout en respectant les spécificités des uns et des autres. A côté de ça, il y a aussi les questions de modernisation de la comptabilité et de simplification des dispositifs de tutelle qui sont venus se greffer au fil du temps.
Que pensez-vous du contenu de la note, et donc du projet de réforme des fabriques d’église émanant du cabinet Collignon ?
J’y vois des aspects positifs en matière de modernisation, mais d’autres aspects plus problématiques aussi. Notamment une forte incitation à la fusion des fabriques. Les autres cultes ne seraient pas concernés, contrairement à ce qui s’est fait en Flandre. En plus ici, on parle de fusions pures et simples, contrairement à la Flandre où ça a été plutôt des regroupements sous forme de coupoles et qui, je vous le rappelle, concernaient là tous les cultes. Il y a ici également une dimension contrainte qui est évoquée s’il n’y a pas de fusion volontaire dans un premier temps. Cela pourrait poser problème par rapport à la Cour européenne des Droits de l’Homme.
Deuxième problème, c’est que ce projet-ci, sur la question du soutien aux fabriques, fait un simple copier-coller du plafonnement à 30 à 40 % des interventions dans le déficit des fabriques d’église ordonné en Région bruxelloise. Donc là c’est juste une reprise de la mesure ordonnée par la Région Bruxelles-Capitale qui avait, à l’époque, justifié cela en disant que c’était le taux moyen d’intervention du côté des fabriques et des établissements de culte. En Wallonie, on n’a aucune indication, en tout cas à ma connaissance, que ce taux de 30 à 40 % corresponde à une réalité. Ce qui veut dire que face au Conseil d’Etat, face à la Cour Constitutionnelle, si jamais ça allait plus loin, je crains fort que le ministre Collignon ait beaucoup de mal à se justifier.
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Enfin, troisième problème que je soulève, c’est qu’il est dit dans la note que les fabriques et établissements de cultes pourront recourir au sponsoring, à des mécènes… Alors oui, sponsoring et mécénat, on peut l’imaginer pour la restauration d’une oeuvre d’art, pour des travaux ; mais pas du tout pour payer le fonctionnement. J’imagine mal un entrepreneur dire : « Ah ben voilà, moi je paie pour la moitié de la facture de chauffage ». En résumé : ce sera très difficile de passer par ces moyens-là pour financer les dépenses courantes.
Revenons sur la fusion des fabriques d’église, évoquée dans la note. On parle d’un double objectif d’1 fabrique pour 8.000 habitants et, par conséquent, la fermeture d’un tiers des 2.000 fabriques actuelles. Ça vous semble réalisable ?
Il est important que la démarche reste volontaire. Pourquoi ? Parce que même si fusions forcées il y a, on a néanmoins l’aspect « esprit de clocher » qui va rester, et qui pourrait causer toute une série de problèmes. Il y a des fabriques dites « riches » qui ne vont pas vouloir travailler avec des fabriques « pauvres ». Il peut y avoir des considérations historiques entre tel et tel quartier de la ville. Vous avez aussi le fait que les fabriciens sont des bénévoles. Si vous avez quelqu’un qui doit gérer une église, ça peut encore aller. Mais imaginez qu’on lui demande désormais de s’occuper, aux côtés d’autres bénévoles, de la gestion de cinq églises dont certaines qui sont à l’autre bout de la commune. Ça alourdit la charge de travail et il y a une proximité que l’on n’a pas : on perd son attache. De plus, cela peut entraîner un risque de fatigue et de démotivation.
Demander à un bénévole de s’occuper de cinq églises, dont certaines à l’autre bout de la commune, ça alourdit sa charge de travail et il aura peu d’attache.
Jean-François Husson
On est encore loin du stade de décret. Est-ce que pour vous, la réforme rentrera bientôt en vigueur ? Ou nous sommes là devant un effet d’annonce à l’approche des élections ?
La première chose à rappeler, c’est que ce point-là n’est pas prévu dans l’accord de gouvernement à la Région wallonne. Donc on pourrait très bien dire, comme d’autres l’ont dit pour la réforme fiscale au niveau fédéral : « Ce n’était pas prévu en tant que tel dans l’accord de gouvernement, on laisse ça pour les suivants. » Deux, il y a sans doute un effet d’annonce. Mais un effet d’annonce à destination de qui ? Parce que si le PS veut gagner des laïcs, parce que je ne vois guère qu’eux qui pourraient être tentés par ce type de message, ce n’est pas cette annonce qui va être une motivation électorale importante pour eux. A contrario, vous avez des travaux de science politique en Belgique et à l’étranger qui montrent que généralement, ce type d’effets d’annonce, ça a plutôt effet à renforcer les gens proches des cultes.
Maintenant, ceci dit, il est vrai que les fabriques d’église, ça représente un sacré coût pour les communes et que du côté de la plupart de celles-ci, il y a des situations financières problématiques. Donc, qu’on veuille essayer de rationaliser de ce côté- là, c’est fondé, mais maintenant, le faire d’une telle manière, je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur moyen d’y arriver. Je pense au contraire que c’est le meilleur moyen d’avoir un blocage. Rappelons qu’on arrive tout doucement en fin de législature. Il y a encore beaucoup de points à discuter. Je vois, a priori, peu de chances pour que ce projet aboutisse.
Propos recueillis par Clément Laloyaux