Opinion – Quand se vide le ciel…


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Opinion – Quand se vide le ciel…
Par La rédaction
Publié le - Modifié le
4 min

La société de consommation vue par Baudouin De Rycke, enseignant et essayiste.

Quand tout tourne autour du pouvoir d'achat...
(c) CC0 Pixabay

Comment un peuple dont la principale égérie est le POUVOIR D’ACHAT pourrait-il échapper à ces rois de pacotille que sont les businessmen ou tous ces vaniteux, pour qui les gens sont des consommateurs, des admirateurs ou des rêveurs, et qui se croient autorisés à acheter des étoiles en faisant de simples additions ? C’est dans la fraîcheur et non dans le fric que l’on prendra enfin conscience des véritables richesses. Nous ne cessons de dormir. La fatigue, l’aveuglement, l’ingratitude, l’égocentrisme nous poussent tour à tour à émettre des plaintes paradoxales : nous ne voulons pas d’une vie qui nous épuise et nous humilie, mais en même temps nous ne voulons pas nous appliquer à la changer...

Deux solutions s’offrent à nous : nous étourdir dans un activisme sans fin et refouler systématiquement ce qui dérange la pure logique et l’efficacité...ou approfondir les choses par des voies mesurées, réfléchies et altruistes, visant au développement et au respect de ce que nous sommes : des humains, non des machines ou des numéros.

Rappelons-nous en tout cas qu’une âme vide ne résiste pas au silence des abysses...Si nous voulons vraiment d’une vie féconde et sereine qui échappe à la PEUR, il est grand temps que nous ralentissions le rythme de nos vies, pour enfin recréer des liens, et cesser de survivre en désapprenant à vivre (1). La chaleur n’est-elle pas un élément vital, nécessaire à la plante comme à l’âme de tout individu (2), à commencer par les enfants ?

Beaucoup de gens travaillent sans âme à la marche du monde, comme si le faire et l’âme étaient deux choses séparées. Mais l’âme est toujours là, qui souvent prend le visage terrifiant de la peur, pour n’avoir pas supporté qu’on l’ignore, ou qu’on la croie inexistante.

La peur, nous le voyons clairement, ne cesse de gagner du terrain, et notre conformisme est son meilleur allié. Voyez nos écoles, nos hôpitaux, nos entreprises, nos dirigeants... : les yeux rivés sur les consignes de prudence, rongés par la peur de la faute et des procès qui pourraient leur être faits, ils ne cessent de dresser des barricades pour se mettre à l’abri. Quant au risque, il n’est plus guère une occasion d’aller plus haut, fût-il empreint de noblesse.

Dorénavant, il est une menace. Car la confiance est moribonde.

Dans ce climat, les cœurs se rétrécissent et les problèmes ne se traitent plus qu’en surface. Exclus du coeur, enfants et patients ont du mal à guérir.

Quant aux parents, aux citoyens et aux consommateurs, ils multiplient les lamentations, les manifestations, les grèves et même les menaces de guerre civile.

Au fond, est-il encore possible de lutter contre ces "gens sérieux" que nous avons laissé construire un monde qui ne nous convient pas? Peut-on exiger d’eux plus qu’ils ne peuvent donner ? Car ils ne s’attardent pas à nos balivernes. Ils ne s’amusent pas à discuter de ces petites choses qui font rêvasser les fainéants. Ils ne passent pas leur temps à respirer les fleurs ou à regarder les étoiles. Ils les comptent et les recomptent et n’ont qu’une ambition : les posséder pour devenir plus puissants. Ils multiplient les calculs, s’enfournent dans des rapides, s’agitent et finissent très souvent par tourner en rond, ne sachant plus très bien ce qu’ils cherchaient au départ.(3)

Peut-on encore retrouver l'esprit du Petit Prince ? (c) CC0 via Pixabay

Quand se vide le ciel, le monde, en panne d’imagination, plonge dans l’absurdité, et d’aucuns se demandent s’il est encore possible d’y répandre l’esprit du Petit Prince. Une population soumise au dictat de la consommation et de la jouissance immédiate est-elle à même de comprendre qu’une rose peut devenir unique au monde, quand on a pris la peine et le temps de la chérir et de s’en occuper ? Peut-on vraiment mourir pour un champ de blé...(4) s’il nous rappelle la chevelure d’or d’une personne bien-aimée?

Si cela n’est plus possible, la colère ne cessera de prendre de l’ampleur.

La colère, dit-on, est mauvaise conseillère. Sans doute, mais faut-il le rappeler : quand elle est juste et non-violente, elle est tellement plus noble que la méprisable autosatisfaction d’un grand nombre. La colère est parfois le fruit de la tendresse et de l’espérance, le calme celui de la désespérance et de la démission .

Accrochons-nous néanmoins : le désert, paraît-il, cache un puits quelque part...(5)

Baudouin De Rycke,, enseignant, essayiste (Montigny-le-Tilleul, Belgique)

(1) R. Vaneigem, Avertissement aux écoliers et lycéens, Edit. MILLE-ET-UNE-NUITS, 1995

(2) C.G. Jung, L’âme et la vie, Buchet-Chastel, 1963 (Livre de Poche), p.144

(3) (4) (5) Extraits du Petit Prince d’Antoine de Saint –Exupéry.

Catégorie : En dialogue

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