Il y a trois semaines, Philippe Lemaître publiait dans nos pages une lettre ouverte aux évêques intitulée « Ces mots qui marquent nos esprits« . Il y plaidait pour remplacer, dans le langage liturgique, les termes « pitié » et « crainte ». Cette semaine, une autre lectrice, Marie-Claire Culot, approfondit la réflexion.

L’article de Philippe Lemaître m’a vraiment intéressée parce qu’il rencontre une préoccupation présente en moi depuis longtemps: l’adaptation des mots du message chrétien pour arriver à une approche et à une transmission plus justes.
En l’occurrence, je pense qu’il n’y a pas que « pitié » et « crainte » qui sont à revoir. Il y a aussi le mot « salut ». Ce mot a pour première acception la notion de santé: bon état du corps, bien-être, avantage, bonheur. Si notre « salut » est donc d’abord affaire de santé, il dépend moins d’un Dieu sauveur qui aurait pitié de nous que de nous-mêmes, invités à prendre en main notre santé dans les trois dimensions de l’anthropologie humaine: physique, psychique et spirituelle. Nous avons appris, surtout depuis Descartes, à nous construire, à nous ressentir et à vivre comme des êtres tissés seulement de deux dimensions ontologiques, alors que l’homme en a pour le moins trois. A l’image du « modèle » Jésus, qui, toute sa vie, vécut les plaisirs des sens (portes d’entrée de la connaissance du monde), les sentiments, et l’expérience de l’union intérieure avec la transcendance qu’il appelle Père.
Quand le dogme devient mystère
Un autre mot qui n‘est plus opportun, c’est celui de « dogme », à la connotation de décision imposée par une autorité indiscutable, à prendre sans réflexion ni esprit critique. A la suite de l’Inquisition, et sur la pression des Lumières, le Saint-Office a supprimé la question (torture physique), mais pas la torture morale, et la liste est longue des théologiens condamnés à ne plus écrire ou enseigner pour avoir osé avancer des idées hors Tradition dans tous les domaines de l’activité humaine.
Par quoi remplacer dogme? Par « mystère ». Incompréhensible au premier abord, le mystère est une invitation à réfléchir, à chercher, à creuser. Il recule au fur et à mesure du travail, en découvrant des paysages nouveaux, un ciel nouveau, une terre nouvelle… L’horizon bouge, se colore différemment, « le gain de la recherche, c’est la recherche elle-même », et de la sorte, « nous irons de commencements en commencements vers des commencements qui n’auront pas de fin » (Grégoire de Nysse).
Parmi les approches fructueuses du mystère figurent la méditation assurément, mais aussi les symboles et les archétypes. Les premiers relient verticalement le bas et le haut, la hauteur et la profondeur. Les seconds nous aident à percevoir l’immensité du temps linéaire; ils sont primitifs, horizontalement universels, partage d’humanité dans l’inconscient collectif. Ils sont à expérimenter. N’y a-t-il pas dans symboles et archétypes une image de la croix bien antérieure à la crucifixion?
Le mot « expérience » est également absent du langage théologique. Essentiel pourtant, parce que là encore, c’est la personne qu’il met en avant. (…)
Le relativisme? Une richesse!
Cela nous amène au relativisme. Celui-ci est une richesse lorsqu’il nous apprend l’expérience spirituelle d’autres peuples, d’autres cultures, d’autres personnes. Nous cherchons à préserver la biodiversité de la nature, pourquoi pas celles des expériences spirituelles? Il y a de bonnes et de moins bonnes expériences, mais on apprend de toutes. Et toutes mènent à la vertu fondamentale de l’humilité. Ta foi t’a sauvé-e. C’est à dire: la confiance humble que tu as manifestée dans ce que TU es, tu as cru en la possibilité de marcher, de guérir, de revenir à la vie. Jésus, à ma connaissance, ne dit jamais « Ta confiance en moi ».
Le sulfureux catholique
Pour finir, le mot « catholique » me dérange de plus en plus. Qui sait encore que cela veut dire universel, et non Eglise Romaine? Il a pour nos contemporains une aura sulfureuse de prédation, de violences, de richesses souvent mal acquises, de centralisation abusive, de mépris de la chair (au minimum de méfiance), d’orgueil et de supériorité. Ce sont les portes de l’enfer qui prévaudront contre elle s’il n’y avait la cohorte de celles et ceux qui la maintiennent encore debout, figures admirables d’humilité et d’expérience. Des personnes qui ont choisi l’humanité et non l’institution, reconnaissant seulement à cette dernière le mérite d’avoir assuré, même en le trahissant, la transmission du Message. Ils s’appellent saint Vincent de Paul, Charles de Foucauld, abbé Pierre, Robert Schuman, soeur Emmanuelle, les moines de Tibhirine, François Cheng, pape François, et pas mal d’autres. Sans compter les innombrables de l’extérieur: Martin Luther King, Dalaï Lama, Ghandi, Mandela, Mukwege, Annick de Souzenelle…
« Christianisme » serait plus rassembleur. Jésus n’a pas créé une Eglise, il a bâti une communauté humaine à qui il a montré comment acquérir et rester en santé pour le bien de tous.
Titres et intertitres sont de la rédaction.

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