Au terme de deux années de pandémie, Nuccio Ordine est plus convaincu que jamais des bienfaits du présentiel et de l’importance de la culture. Mais ce brillant professeur italien mesure aussi les menaces qui pèsent sur le « non-essentiel ». Il en appelle à la création d’espaces de résistance et fait l’éloge des grands classiques de la littérature.

Il a différentes attaches avec notre pays. Début 2020, l’Université catholique de Louvain en faisait ainsi l’un de ses docteurs honoris causa. L’Alma mater le présentait alors comme « un véritable citoyen de la ‘République des Lettres’, un Etat virtuel qui ne connaît pas de frontières ». Nuccio Ordine est aussi un fan absolu de la Belge Marguerite Yourcenar – dont il nous invite avec insistance à relire les Mémoires d’Hadrien – et un grand amoureux de Bruges. Mais son passage par notre pays au mois de mars fut éclair: le temps de donner quelques interviews et conférences – notamment à la tribune des prestigieuses Grandes Conférences catholiques. Il n’empêche, s’il est pressé, l’homme n’en laisse rien paraître, et c’est patiemment qu’il a répondu à nos questions. Il faut dire que de longue date, ce brillant professeur de littérature fait l’éloge de la lenteur et de la profondeur…
Bien avant le Covid, vous critiquiez la distinction opérée par notre société entre l’utile et l’inutile. Au cours des deux dernières années, c’est surtout la distinction entre essentiel et non essentiel qui a été mise en lumière. Et vous vous y êtes fortement opposé…
En effet. Quand nos gouvernements ont décidé de laisser les supermarchés ouverts, personne n’a réagi. C’était une décision logique: pour manger, on a besoin des supermarchés. Mais les gouvernements n’ont pas agi de la même manière pour les librairies, les écoles, les universités ou les théâtres. Or, comme Montaigne, je crois que l’homme est un corps mais aussi un esprit. Et s’il faut nourrir le corps, il faut nourrir l’esprit de la même façon. Durant la pandémie, nous avons compris que certaines choses que notre société estime « inutiles » sont en fait essentielles. Evidemment, les effets de leur privation ne se mesurent pas aussi vite. Quand vous avez faim, la prise de conscience est immédiate; quand vous avez soif de culture et de connaissance, vous pouvez demeurer un ignorant. Mais vous finirez par le payer… La pandémie a été une sorte de laboratoire pour nous faire comprendre que nous avons besoin de livres et d’enseignement autant que de supermarchés.
Propos recueillis par Vincent DELCORPS

Découvrez la suite de cet article dans le Journal Dimanche
Profitez de nos offres à partir de 40€/an. Contactez-nous en ligne, au 010 / 77 90 97 ou via abonnement@cathobel.be