Dans une société menée par la peur, Baudouin De Rycke, enseignant, émet le souhait que nous puissions retrouver notre esprit d’enfant.

Même s’il a bien compris que le tonnerre et la foudre ne sont pas l’expression d’un vilain dieu barbu, l’homme n’a toujours pas résolu ses problèmes de PEUR : peur de l’avenir, de la haine, de la violence, de l’échec, de la solitude, de l’amour, de la misère, de la bêtise, de l’abandon, de la différence, de l’indifférence, de la maladie, de la mort, de soi-même, d’être soi… Peur et paralysie qui, pour être livrées à elles-mêmes, dans notre société impitoyable, se changent en violences et maladies mentales en tous genres.
Urgences et superficialité
Difficile de comprendre que cette peur généralisée débouche, dans le concret, non sur la création ou le renouvellement de valeurs humaines par le biais d’une éducation forte, mais sur le déferlement de mesures artificielles d’urgence qui, outre qu’elles ne soignent rien à long terme, injectent dans notre société un climat d’anxiété permanente et une agitation sans précédent : police, amendes, contrôles, tests, caméras, enquêtes, répressions diverses, prisons, centres hospitaliers, de secours ou de rééducation, remédiations multiples…sont-ils autre chose ( politiquement parlant, bien sûr) que les ambassadeurs d’une ILLUSION juste bonne à freiner le désarroi généralisé, dans l’attente d’une recrudescence de paralytiques?
Le moins que l’on puisse dire, c’est que nos dirigeants n’encouragent pas à la profondeur… Invariablement, et quelle que soit la conjoncture, profèrent des menaces, érigent l’argent et le pouvoir en maîtres, idéalisent la performance et le mouvement, ne jurent que par le quantitatif, invitent aux plaisirs faciles, et promettent le bonheur par « l’avoir », attirant ainsi l’homme le plus simple, le plus frais, le plus authentique…et le plus LIBRE dans un engrenage infernal où se meurent à la fois le temps, la confiance, les relations humaines, la pensée…et finalement la vie intérieure, éminemment pourvoyeuse de sens.
Ce Jésus né à Noël
25 décembre. L’Homme que l’Histoire nous a décrit si audacieux et libre de cœur et d’esprit naît dans la pauvreté, pour nous montrer, entre autres, que la sérénité vient d’ailleurs. Il dira : « Ne vous inquiétez pas…Regardez les oiseaux sauvages…et comment croissent et s’habillent les fleurs…Paix…Laissez demain…il s’occupera bien de lui-même… ». Malgré les affres de Gethsémani, il mourra confiant… dans la douleur, et c’est la PEUR, encore elle, inspirée par la bouleversante simplicité de son message, qui lui aura planté le premier clou.
Bien des hommes, après Lui, nous ont montré à leur tour, à travers leur détermination et leurs engagements, que la peur n’était pas un mal incurable. Encore faut-il en accepter la thérapie, qui consiste, dit-on, à prendre conscience d’une double maladie, profondément ancrée dans l’esprit de nos contemporains : la « crispation sur l’avoir » et cette sacrée… « céphalomanie », première responsable, sans doute, de notre incapacité à sortir de notre vision purement rationnelle des choses, pour embrasser un autre type de pensée, nous rendant capable d’un peu plus de détachement et de recul.
Quoi qu’il en soit, l’observateur le plus banal est à même de constater l’immense appel au sentiment et à l’intelligence du cœur que lance une population en proie à un désir de bonheur moins matérialiste.
Jésus n’a pas multiplié les exploits scientifiques et intellectuels. Mais il avait la passion de lire…Pas seulement dans les livres, mais dans les cœurs… Lire, c’est tout…et se laisser lire. Une fusion. Un bain chaud de délicieuse fraternité. Dans le fond, c’est si simple l’amour…
Se diriger vers l’étoile
Toutes les cultures se réclament d’ailleurs de l’amour : c’est le plus vieux programme du monde, et si nous laissons la jeunesse évoluer dans un climat tour à tour de spécialisation, de résistance ou de résignation, comment pourra-t-elle en expérimenter les bienfaits ? Il nous incombe avant toute chose de diffuser la chaleur, cet « élément vital nécessaire à la plante comme à l’âme de l’enfant » (1) et d’exalter la vie. Celle-ci ne peut être le lieu où l’on « apprenne à survivre en désapprenant à vivre » (2).
Vœux pieux ? Utopie ? Nous ne connaissons que trop cet éternel et pernicieux diagnostic que trop de gens se hâtent d’embrasser pour couvrir leur incapacité à rêver, ou simplement leur pusillanimité. Ce monde qui crève de souffrance n’est-il pas aussi le résultat d’une accumulation de choix égoïstes et de démissions ? Dans la bouche d’Albert JACQUARD (scientifique et agnostique), l’utopie dont il est ici question résonne comme un message de Noël : « Une utopie est une étoile lointaine vers laquelle on prend la décision de se diriger. Il ne s’agit pas de prétendre l’atteindre, mais d’être fidèle à l’attraction de sa lueur, même lorsqu’ elle est à peine discernable dans le brouillard. » (3)
Souhaitons, pour cette année nouvelle, que l’esprit d’enfance, encore vivant à tout âge chez les plus résistants d’entre nous, règne en maître dans sa robe de lys, par-delà ces éternelles préoccupations économiques ou technologiques qui nous privent, par leur présence quasi obsessionnelle, de la Poésie et du Sentiment, si nécessaires à notre équilibre psychique.
Alors peut-être renaîtra le temps où les hommes parlaient moins du silence de Dieu que de leur propre surdité. (4)
Baudouin De Rycke, Montigny-le-Tilleul
(intertitres de la rédaction)
(1) C.G.Jung, L’âme et la vie
(2) Raoul VANEIGEM, Avertissement aux écoliers et lycéens.
(3) Albert JACQUARD, Petite philosophie pour les non-philosophes.
(4) Michel BOUJENAH, Le petit génie.