Projet Rafaël: l’autre enquête


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Projet Rafaël: l’autre enquête
Vue, en 2017, de la cour intérieure
Par Vincent Delcorps
Publié le - Modifié le
6 min

Il y a quelques jours, divers médias se sont alliés pour dénoncer le fonctionnement de Rafaël, asbl chrétienne engagée au service des plus pauvres. Ces critiques sont-elles justifiées? L'Eglise s'est-elle montrée malhonnête? CathoBel, aussi, a mené l'enquête.

Rude journée. Ce 8 décembre, la RTBF, Knack et Le Vif s'allient pour dénoncer "les étranges affaires de l'Eglise". Au cœur de l'enquête se trouve le projet Rafaël. Cette asbl s'occupe de l'ancienne clinique Saint-Anne, à Anderlecht. Vers le milieu des années 1990, le lieu commence à accueillir des sans-abris sous la direction du père Reginald Rahoens. En 2011, celui-ci décède et c'est sous la présidence de Mgr Herman Cosijns que l'association poursuit sa mission. En 2017, vu l'état d'insalubrité du bâtiment, décision est prise de le rénover complètement. Pour l'occasion, le bâtiment est cédé à l'archidiocèse de Malines-Bruxelles, ce qui va permettre d'obtenir l'emprunt nécessaire. Et d'entamer les travaux, en 2021.

L'Eglise s'est-elle enrichie sur le dos des pauvres?

En filigrane, c'est l'accusation qui parcourt l'enquête. Elle s'appuie en particulier sur le passage du bâtiment, au printemps 2021, des mains de l'asbl Rafael vers celles de l'archidiocèse de Malines-Bruxelles. Pourquoi cette cession? La réponse est simple: l'asbl n'a pas les épaules assez solides pour obtenir l'emprunt nécessaire (10 millions d'euros!) à la remise aux normes du bâtiment imposée par la commune. Le conseil d'administration de Rafaël se réjouit donc de cette cession, qui va permettre d'assurer la pérennité du projet. En outre, cette décision s'inscrit dans une grande continuité: le bâtiment a toujours appartenu à l'Eglise, et le père Reginald Rahoens tenait à ce que celle-ci continue à s'y engager.

Autre élément (non mentionné par les journalistes): contrairement à beaucoup d'autres associations, Rafaël ne reçoit aucun subside public. Elle ne fonctionne que grâce aux participations des résidents et aux dons. Difficile, dans ces conditions, de soutenir la thèse d'un enrichissement ecclésial…

Y a-t-il conflit d'intérêts?

Au cours de leurs investigations, les journalistes se sont étonnés de retrouver une même personne en différents lieux. En 2011, Mgr Herman Cosijns, secrétaire de la Conférence épiscopale et président du Centre interdiocésain, devient président de Rafaël. Il l'est encore lorsque le bâtiment est cédé à l'archidiocèse. N'est-il pas alors juge et partie? Techniquement non puisqu'il n'est pas membre de l'asbl de l'archidiocèse. Selon les journalistes, il y a tout de même conflit d'intérêt puisque le supérieur de Mgr Cosijns n'est autre que l'archevêque. Ce détail, tiré par les cheveux, a le mérite de mettre le doigt sur une faiblesse du fonctionnement ecclésial: la concentration des compétences entre les mains de quelques personnes. Ce phénomène se retrouve à différents niveaux, et est sans doute accentué par la réduction des forces vives au sein de l'Eglise. Il n'est malheureusement pas moins présent dans les milieux publics, où la possession d'un mandat quelconque en entraîne souvent beaucoup d'autres.

Mais revenons à notre dossier: un éventuel conflit d'intérêt a-t-il pu influencer le dossier? Dans les faits, non. Car c'est suite aux recherches d'un comité de pilotage, et sans la moindre piste d'alternative, que le CA de Rafaël opta pour la cession du bâtiment à Malines-Bruxelles. Par ailleurs, c'est dans un esprit de service que Mgr Cosijns s'est engagé dans ce dossier – unanimement, ceux qui connaissent l'homme en témoignent. De ce point de vue, parler d'"intérêts" et de "prise de pouvoir" relève de la malveillance.

L'Eglise a-t-elle mis des pauvres à la porte?

Parallèlement à la mise aux normes du bâtiment, c'est un projet social redéfini qui s'apprête à voir le jour. En l'occurrence, 52 logements sociaux sont prévus, ainsi qu'une dizaine de logements pour hébergement d'urgence ou situation de transit. Un centre de santé, un restaurant social, une banque alimentaire et des locaux paroissiaux verront aussi le jour. Quant à la gestion, elle sera confiée à une agence immobilière sociale (AIS). "Le nouveau projet ne veut pas donner une quelconque priorité à un groupe de personnes particulier, mais veut être ouvert à tous", détaille Marie-Françoise Boveroulle, administratrice. "On veut mettre l’accent sur un travail social professionnalisé, tant au niveau de l’hébergement qu’au niveau des services."

Pour entamer les travaux, il a fallu vider le bâtiment. On comprendra aisément que cette décision ne fut pas simple à accepter pour ceux qui y vivaient, parfois depuis longtemps. Et pourtant, en collaboration avec la commune et son service social, les responsables de Rafaël prirent un soin particulier à trouver une solution pour chacun des habitants. "Début 2021, seuls quelques résidents n’avaient pas trouvé de solution", raconte Mgr Cosijns. "Rafaël a loué pour eux, un bâtiment d’une vingtaine de chambres. En juin 2021, cinq chambres de ce bâtiment étaient encore libres. Des chambres étaient donc encore disponibles pour tous ceux qui n’auraient pas trouvé de logement."

Une autre question peut être posée: que se serait-il passé si Rafaël avait décidé de s'opposer à la commune d'Anderlecht? Ou si l'archidiocèse de Malines-Bruxelles avait refusé de s'engager dans le projet? N'aurait-on pas alors reproché à l'Eglise de laisser périr des personnes dans des conditions insalubres?

La gestion de Rafael est-elle irréprochable?

Anne Idago, gestionnaire bénévole de Rafael et ancienne résidente du lieu, est également visée par les journalistes. Sur la base de deux ou trois témoignages, on lui reproche d'avoir contraint certains résidents à effectuer un travail forcé. A Rafaël comme partout ailleurs, chaque résident est invité à mettre la main à la pâte. La femme a-t-elle été victime de son caractère enthousiaste, et parfois directif? Ce n'est pas à exclure. Il conviendra en tout cas de faire la clarté à ce sujet.

L'enquête révèle aussi que la gestionnaire vendit des assurances-obsèques à certains résidents. Anne Idago prétend que c'est pour répondre à la demande de résidents, et suite au décès de l'une d'entre eux (n'étant pas assurée), qu'elle se lança dans cette activité. La chose est absolument plausible. Il n'empêche que la pratique pose problème d'un point de vue éthique. Au sein de l'organe d'administration, on reconnaît à Anne Idago "une certaine maladresse" et on promet d'évaluer son action et de suivre de près sa gestion. Cela paraît devoir s'imposer.

Et Poverello dans tout ça?

Il s'agit d'une tout autre affaire. Et elle interpelle. Les journalistes révèlent en effet que cette association d'aide aux plus démunis possède un patrimoine très élevé. Et que celui-ci n'est pas mis au service du projet. Comment l'expliquer? A qui profite le butin? Les journalistes ne parviennent malheureusement pas à l'expliquer. La direction sort en tout cas sérieusement fragilisée de l'enquête.

Et l'Eglise? Institutionnellement, elle n'a aucun lien avec l'association. En revanche, nombre de catholiques soutiennent Poverello. Ils apparaissent donc plutôt comme des victimes. Et, à ce titre, sont en droit d'attendre des éclaircissements. Quant au fait que le comptable de Poverello provienne du Centre interdiocésain, cela n'est nullement un scoop. Mais ce que les journalistes n'ont pas mentionné, c'est que lorsqu'il travaille pour Poverello, il le fait sous l'autorité de Poverello – et aucunement sous celle de l'Eglise. Ajoutons qu'un comptable n'est ni trésorier ni réviseur aux comptes.

Vincent Delcorps

Catégorie : Eglise Belgique

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