Grand entretien – Etienne Van Billoen et Luc Terlinden: “Grands serviteurs de l’Eglise”


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Grand entretien – Etienne Van Billoen et Luc Terlinden: “Grands serviteurs de l’Eglise”
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Par Vincent Delcorps
Publié le - Modifié le
10 min

Début septembre, le chanoine Luc Terlinden a succédé au chanoine Etienne Van Billoen comme vicaire général de l’archidiocèse de Malines-Bruxelles. A ce titre, il devient le principal collaborateur du cardinal De Kesel. C’est à la veille du passage de témoin que nous avons rencontré les deux hommes. Pour les entendre parler de leurs souvenirs, de leur mission, de leur vision.

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Luc, on avait déjà eu l’occasion d’apprendre à le connaître. A Louvain-la-Neuve, du temps des études… Un grand homme, savant, prudent et sympa. Brillant. Depuis toujours promis à de hautes fonctions… D’Etienne Van Billoen, en revanche, on ne connaissait que le nom. On imaginait un ecclésiastique réservé. Plutôt sérieux et distant. C’est dire si c’est avec surprise que nous avons découvert un homme affable. Amical aussi. Insistant pour qu’on l’appelle par son prénom…

Etienne, donc, pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste exactement le rôle de vicaire général – en particulier dans l’archidiocèse de Malines-Bruxelles?

Etienne Van Billoen (EVB): Au quotidien, le vicaire général est le collaborateur direct de l’évêque, il est son premier conseiller. A Malines-Bruxelles, cela implique automatiquement un certain nombre de charges. Ainsi, le vicaire général est modérateur du conseil épiscopal. Avec l’archevêque, il prépare les réunions du conseil. En son nom, il préside aussi la fabrique d’église de la cathédrale Saint-Rombault. Il est également président de diverses asbl liées à l’archevêché. Maintenant, soyons clair: l’archevêque garde toujours la main sur ces questions. Et il est en droit de remplacer le vicaire général quand il le veut… A côté de ces charges, il y a des responsabilités plus ponctuelles. Si l’archevêché organise une fête, si un évêque est installé ou décède, c’est le vicaire général qui coordonne l’événement. Dernier aspect: les rencontres personnelles.

Avec…?

EVB:Des rencontres de tous ordres. Il peut s’agir d’une personne en difficulté, d’un prêtre qui souhaite faire le point plus librement qu’avec son évêque… Par ailleurs, énormément de personnes souhaitent rencontrer le cardinal; or, ce n’est pas toujours possible. Dans un certain nombre de cas, le vicaire général prend le relais.

Quelles sont les qualités qui vous semblent requises pour être un bon vicaire général?

EVB: Demandez à Luc quelles sont ses qualités (rires).

Quelles sont celles que vous appréciez chez lui?

EVB: Son intelligence. Mais aussi son sens pastoral. Il a longtemps été en paroisse, c’est très bien. On est vicaire général pour aider des gens, et pas pour faire sentir qu’on a du pouvoir! Une autre qualité indispensable est la discrétion. Notre rôle doit s’exercer dans l’ombre. Nous ne sommes pas le porte-parole de l’évêque. Le vicaire général doit pouvoir donner confiance, et avoir confiance. Tout le monde doit pouvoir venir vers lui. Dernier élément: il doit être totalement loyal à l’égard de son évêque.

Luc, vous découvrez la fonction depuis quelques mois déjà. Qu’est-ce qui vous marque?

Luc Terlinden (LT): Quand il m’a demandé de devenir vicaire général, j’ai dit au cardinal qu’il s’agissait de la dernière chose à laquelle j’aurais pensé.
EVB: C’est bon signe!
LT: Depuis, je me suis rendu compte que si la tâche est bien différente de celle de curé de paroisse, elle est en même temps très pastorale. Au quotidien, cette fonction est faite de relations personnelles. Le vicaire général est amené à mettre de l’huile dans les rouages, ce qui est éminemment pastoral.

Etienne, que retenez-vous particulièrement des vingt dernières années?

EVB:Parmi les moments forts, je retiens certainement les dix années passées avec le cardinal Danneels. Je me souviens notamment du 450e anniversaire de l’archevêché, de "Bruxelles-Toussaint 2006", des 25 ans d’épiscopat du cardinal, de la célébration de ses 80 ans – ce jour-là, son homélie était une véritable prière. Il y eut aussi des moments difficiles, à commencer par les perquisitions [ndlr: dans le cadre des dossiers de pédophilie]. En juillet 2010, quand je suis revenu à Malines, le cardinal était abattu. "Etienne, heb ik zo slecht gedaan?" [ai-je été si mauvais?], m’a-t-il confié. Dans cette affaire, le cardinal Danneels a été un bouc émissaire. Au total, 930 boîtes d’archives ont été sorties. Je rappelle que ces perquisitions ont été jugées illégales et que le cardinal n’a jamais été inculpé! En même temps, je tiens à dire ceci: si cette très lourde épreuve a pu servir à libérer la parole de victimes, et je crois que c’est le cas, je m’en réjouis.

L’affaire a aussi permis d’assainir certaines pratiques au sein de l’Eglise, d’améliorer la formation…

EVB: Bien sûr! En ce domaine, la véritable conversion consiste à considérer la victime comme la priorité. Tant qu’on continue à vouloir éviter les scandales et sauver les meubles, on est mal barré.

Peut-on dire qu’on en est sorti aujourd’hui?

EVB: Je n’oserais pas dire cela.
LT: Je crois qu’il faudra encore du temps, car c’est une conversion profonde. Mais en Belgique, les choses changent vraiment. Le cardinal De Kesel souhaite qu’on aille au bout de l’accompagnement des victimes, qu’on n’ait pas peur de la vérité. Il faut dire que comme évêque de Bruges, il a rencontré énormément de victimes…
EVB: Et il en est marqué à vie!

Quel est le visage d’avenir que vous souhaitez offrir à l’Eglise, Luc?

LT: Je suis convaincu par le processus d’une Eglise plus synodale. Le pape François a l’intuition que ce n’est pas depuis le Vatican ou dans le bureau d’un évêque qu’on pourra répondre aux défis auxquels l’Eglise fait face. Ce n’est qu’en se mettant en route ensemble qu’on pourra répondre à ces défis – et dans le respect des différents ministères. Cette dimension synodale me tient fort à cœur. Ensemble, on doit se mettre dans cette attitude pour discerner. Même si cela n’est pas très spectaculaire. Je dois d’ailleurs dire que je crois de moins en moins aux simples événements. Je m’en suis rendu compte comme curé de paroisse: l’annonce de l’Evangile se vit à travers le temps! Bien sûr, on a besoin d’actions ponctuelles, de JMJ, etc. Mais si ces moments sont isolés, ce sont des coups dans l’eau! A Bruxelles, la majorité des catéchumènes arrivent par les paroisses. Et pas à travers des choses spectaculaires. Ils viennent grâce à une rencontre, un inattendu, mais aussi grâce à une communauté avec laquelle ils ont pu cheminer. De ce point de vue, je rejoins l’intuition du cardinal De Kesel: nous devons avoir des communautés rayonnantes! Ce ne sont pas les structures qui sont premières. Ce qui est premier, c’est le fait que nous sommes envoyés pour annoncer l’Evangile. C’est en ce sens qu’on doit comprendre la réorganisation des structures. Un exemple: à Ixelles, en dix années, nous avons réduit de moitié le nombre de messes dominicales. Mais la pratique a globalement augmenté dans l’Unité, parce qu’on avait des assemblées vivantes! Evidemment, ces changements ne sont pas simples, ils doivent être accompagnés. Mais si on ne garde pas le cap, on n’avance pas.

L’archevêché est bilingue. Et en Belgique, l’Eglise semble encore nationale…

EVB: Attention, chaque diocèse est autonome. Quant à la Conférence épiscopale, elle a des temps communs, mais elle a deux ailes linguistiques. Globalement, cela fonctionne bien. Notre unité peut être signe de catholicité. A condition, toutefois, de ne pas utiliser l’Eglise comme véhicule d’une belgitude qui n’existe plus. Il faut pouvoir reconnaître les autonomies et sensibilités respectives. En tant que vicaire général, il s’agit d’un équilibre auquel je devais veiller.
LT: J’ajoute qu’au niveau de l’archevêché, nous n’avons jamais de véritable tension communautaire. Au contraire: de plus en plus, on se rapproche! Dans ma génération, on se rend compte que nous sommes confrontés aux mêmes types de défis des deux côtés de la frontière linguistique. L’archevêque aime d’ailleurs dire qu’on est beaucoup plus proches qu’on le pense…

Vincent DELCORPS

A propos de Danneels, Léonard et De Kesel

Quels sont les traits marquants que vous souhaiteriez retenir du cardinal Danneels?

EVB: Il avait de l’humour et de la patience. Une très grande cordialité aussi, bien que celle-ci ne fut pas immédiate, car l’homme était timide. Après qu’il ait pris sa retraite, j’ai pu vivre une réelle relation d’amitié avec lui.
LT: C’était un homme doté d’une écoute vraiment bienveillante. Un homme de prière aussi. Avec le temps, une grande relation de confiance a pu se tisser avec moi. Il exprimait peu ses sentiments, mais il savait encourager. Je peux dire qu’il a joué un rôle important pour moi. Quand j’étais séminariste, c’est une voix que j’écoutais de manière privilégiée. J’ai été fort marqué par sa manière de prêcher. Je pense qu’il y a d’ailleurs toute une génération de prêtres qui a été marquée par lui. A ses côtés, nous avons appris la patience. Quand on est jeune séminariste, on pense qu’on peut réformer l’Eglise d’un claquement de doigt. En fait, la réalité est plus complexe. Je crois que le cardinal Danneels a voulu travailler les fondations, et qu’on en voit aujourd’hui les fruits. Le climat est moins conflictuel, l’accent est davantage mis sur la profondeur, l’écoute de l’Esprit-Saint, une certaine tolérance.

De 2010 à 2015, c’est Mgr Léonard qui fut l’archevêque. Quelles sont les qualités que vous garderez de lui?

EVB: Une grande intelligence et, comme professeur, un excellent pédagogue! Par ailleurs, en Flandre, tout le monde lui reconnaissait une bonne connaissance du néerlandais. Il fallait le faire, car il n’avait pas de racines au Nord. C’était un travailleur, aucunement intéressé par l’argent. Après, tout le monde sait bien que les relations n’ont pas toujours été faciles entre nous…
LT: L’intelligence, bien sûr. Et puis, c’est un homme de contact. Il passe du temps avec les gens, il a une mémoire incroyable des prénoms et des visages. C’est aussi un homme de cœur.

En 2015, Mgr De Kesel arrive à Malines. Qu’appréciez-vous chez lui?

EVB: Quand j’ai lu son livre [ndlr: Foi et religion dans une société moderne], je lui ai dit: "ton livre me fait retrouver la foi de ma jeunesse". Je suis un fils du Concile! La convocation de Vatican II a joué un rôle déterminant dans ma vocation. A l’époque, je sentais bien une sorte de fossé entre l’Eglise et le monde. Je retrouve dans le livre du cardinal les intuitions fondamentales du concile.
LT: On a toujours eu un contact très familier, notamment pour avoir fait des pèlerinages ensemble. Sa première qualité, c’est sa qualité de relation humaine. "Tout homme est une histoire sacrée", chante-t-on parfois. Chez lui, ces paroles prennent corps. Quand une personne a failli, on a parfois envie de remettre les choses au point. Mais lui entend toujours faire cela avec le souci d’aider la personne. Jamais pour l’enfoncer. C’est très beau! Il a vraiment cette humanité. Et puis, c’est profondément un homme de prière, c’est un contemplatif. Cela lui donne une paix intérieure, qu’il a même gardé au cours de la maladie qu’il a traversée.

V.D.

Les coulisses de la succession

Aujourd’hui âgé de 74 ans, Jozef De Kesel aurait sans doute été heureux de conserver son vicaire général jusqu’au terme de sa mission. "Mais je trouvais que ce n’était pas une bonne idée", nous glisse Etienne Van Billoen. "Il valait mieux que quelqu’un fasse le pont." Voilà pourquoi, conscient de l’importance des transitions, le cardinal se met en quête d’un successeur. Profil recherché: parfait bilingue, doué d’une entière loyauté, d’un sens du leadership et d’une vraie fibre pastorale. C’est Luc Terlinden, Bruxellois de 53 ans, notamment passé par Louvain-la-Neuve et par Ixelles, qui est choisi. Un choix très personnel du cardinal. "Je tenais à ne pas être associé à la décision", insiste Etienne Van Billoen. Mais quand celui-ci apprend la nouvelle, il ne peut que se réjouir: les deux hommes se connaissent et s’apprécient depuis longtemps. Début 2021, Luc Terlinden emménage à Malines. Dans la foulée, il est progressivement initié aux dossiers du vicariat général. Depuis le 1er septembre, il est officiellement en fonction. A la satisfaction générale. "Nous sommes très heureux de cette nomination", commente Patrick du Bois, délégué de l’archidiocèse pour le temporel. "Luc Terlinden a une vision d’avenir pour sa mission de vicaire général et un tempérament d’entrepreneur. Il sera un précieux complément pour notre cardinal. De plus, il a un sens profond de la collégialité."

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