Du 5 au 8 mars, le pape François s’est rendu en Irak. Un voyage apostolique sans précédent.
Accueilli par le Premier ministre à l’aéroport de Bagdad, le pape François s’est ensuite rendu dans le quartier sécurisé des ambassades et du Palais présidentiel. S’adressant aux autorités civiles, le pape y a émis le vœu « Que Dieu nous accorde de marcher ensemble, comme des frères et des sœurs, dans ‘la forte conviction que les vrais enseignements des religions invitent à demeurer ancrés dans les valeurs de la paix […] de la connaissance réciproque, de la fraternité humaine et de la coexistence commune' », citant le Document sur la fraternité humaine, signé à Abu Dhabi, le 4 février 2019. Evoquant la crise du Covid-19, le pape François estime qu’elle représente « un appel à repenser nos modes de vie, […] le sens de notre existence » (Encyclique Fratelli tutti, n. 33). Et d’ajouter: « Aujourd’hui, l’Irak est appelé à montrer à tous, en particulier au Moyen Orient, que les différences, plutôt que de donner lieu à des conflits, doivent coopérer en harmonie dans la vie civile. » Comme ce sont les plus humbles qui détiennent la clef de la paix, mieux vaut confier « la parole aux bâtisseurs, aux artisans de paix ». L’égalité de tous en est garante. Aussi importe-t-il « Que personne ne soit considéré comme citoyen de deuxième classe. »
Une dimension interreligieuse
Au programme de ce séjour très dense, la rencontre avec le grand ayatollah Al-Sistani, la principale autorité religieuse chiite en Irak, constitue un événement à valeur historique. Dans un communiqué, le Saint-Siège souligne que « La rencontre a été l’occasion pour le pape de remercier le grand ayatollah Al-Sistani car, avec la communauté chiite, face à la violence et aux grandes difficultés des années passées, il a élevé sa voix en faveur de la défense des plus faibles et des persécutés, en affirmant la sacralité de la vie humaine et l’importance de l’unité du peuple irakien. » De son côté, le dignitaire chiite a insisté sur la capacité des chefs religieux à endiguer les « tragédies » dont souffrent les pays de la région.
Autre moment fort que la rencontre interreligieuse organisée à Ur, patrie d’Abraham selon le livre de la Genèse. Auprès de différents représentants religieux locaux, le « Très-Haut au-dessus de nous nous invite à ne jamais nous séparer du frère qui est à côté de nous », a insisté François. « Dans le monde d’aujourd’hui, qui oublie souvent le Très-Haut ou en présente une image déformée, les croyants sont appelés à témoigner de sa bonté, à montrer sa paternité à travers leur fraternité. »
Une condamnation sans appel du terrorisme
Le choix du lieu emblématique de la naissance d’Abraham a conforté les paroles du pape François, dénonçant l’instrumentalisation de la religion. « Hostilité, extrémisme et violence ne naissent pas d’une âme religieuse : ce sont des trahisons de la religion. Et nous, croyants, nous ne pouvons pas nous taire lorsque le terrorisme abuse de la religion. » Et de rendre un vibrant hommage aux Yézidis, dont la communauté a été l’objet d’assassinats et d’esclavage, sans oublier les Syriens, voisins tout proches, victimes d’un conflit armé depuis près de dix ans. « La paix n’exige ni vainqueurs ni vaincus, mais des frères et des sœurs qui, malgré les incompréhensions et les blessures du passé, cheminent du conflit à l’unité. » L’occasion de lancer un vibrant hommage à l’unité : « Il nous revient de rappeler au monde que la vie humaine vaut pour ce qu’elle est et non pour ce qu’elle a, et que les vies des enfants à naître, des personnes âgées, des migrants, des hommes et des femmes de toutes couleurs et nationalités sont toujours sacrées et comptent comme celles de chacun ! » En guise de conclusion à la rencontre, une prière commune a été récitée en arabe. Son titre est sans ambiguïté, puisqu’il s’agit de la prière « des enfants d’Abraham ». Juifs, chrétiens et musulmans y clament « avec les autres croyants et toutes les personnes de bonne volonté » leur attachement à leur « père commun dans la foi ».
L’unité des chrétiens
Pour la première fois dans l’histoire vaticane, le pape François a eu l’occasion de présider une messe en rite chaldéen. Appelant à l’humilité dans la cathédrale Saint-Joseph de Bagdad, il a insisté sur le fait que « Le témoignage est le chemin pour incarner la sagesse de Jésus. C’est ainsi que l’on change le monde: non pas par le pouvoir ou par la force, mais avec les Béatitudes. » Et face à la force des puissants de ce monde, il a souligné combien « Dieu veut accomplir des prodiges précisément à travers nos faiblesses ». Parmi les rencontres marquantes du souverain-pontife, se trouve aussi celle dans la cathédrale de l’Immaculée Conception à Qaraqosh. S’adressant aux fidèles, le pape leur a dit : « Votre présence ici rappelle que la beauté n’est pas unicolore, mais qu’elle rayonne par la variété et les différences. » A Erbil, François a encore rencontré le patriarche de l’Eglise assyrienne de l’Orient Mar Gewargis III. « Avec lui, j’embrasse les chrétiens des diverses confessions. » C’est là aussi que le pape a rencontré le père meurtri d’Alan Kurdi, l’enfant syrien naufragé auprès de sa mère et de son frère, dont la photo sur une plage avait fait le tour du monde, en septembre 2015.
Dans un courrier, Nadia Murad, prix Nobel de la Paix 2018, s’est adressée à François, avec quelques représentants d’ONG internationales et de la société civile. Ils s’y inquiètent de la protection des minorités religieuses, dont les Yézidis, et espèrent « prévenir de nouvelles atrocités ». Ils redoutent, en effet, de nouvelles exactions commises par Daesh. A Mossoul, dans la plaine de Ninive, le pape n’a pas manqué de dévoiler une stèle à la mémoire des victimes de la guerre et de prier pour « ceux dont la vie terrestre a été écourtée par la main violente de leurs frères », espérant que ces derniers se repentent. Dans la ville martyre, ravagée par les djihadistes, le saint-père est revenu sur « la diminution tragique des disciples du Christ, ici et dans tout le Moyen-Orient », y voyant « un dommage incalculable non seulement pour les personnes et les communautés intéressées, mais pour la société elle-même qu’ils laissent derrière eux ».
Angélique TASIAUX
Illustration : Vatican News