Depuis les débuts du christianisme, et jusqu'à nos jours, des saints sont invoqués pour l'obtention de guérisons. Deux experts ont accepté de nous éclairer sur le passé et le présent de cette dévotion particulière aux saints guérisseurs.
"Le culte des saints remonte au IIe siècle de notre ère, alors que l’Eglise n’est pas encore tolérée et ne jouit en fait d’aucune existence légale" explique André Haquin, professeur émérite de théologie liturgique et sacramentaire de l’UCLouvain et prêtre dans le diocèse de Namur.
Les premiers saints à apparaître dans la généalogie des chrétiens sont des martyrs, c’est-à-dire des témoins qui ont suivi le Christ jusqu’au bout, jusqu’à la mort. Mais la sainteté a mille visages, poursuit le professeur, elle peut être en effet d’ordre héroïque mais peut aussi se déployer au quotidien, comme l’a affirmé François dans son exhortation apostolique "Gaudete et exsultate".
La piété populaire a "produit" les premiers saints
Les premiers saints n’ont pas fait l’objet d’une canonisation règlementaire; en effet, aux premiers temps du christianisme, on peut dire que ce sont les fidèles "qui font les saints", en leur vouant un culte, en priant sur leur tombe, en obtenant ainsi des guérisons ou miracles.
"Le culte des saints, et particulièrement les saints guérisseurs qui accomplissent des miracles de guérison, est caractéristique du Moyen-Age, période où la médecine est quasi inopérante" affirme Robert Godding, directeur de la société des Bollandistes, spécialistes des vies de saints. "Les personnes malades n’avaient pas d’autres recours que de demander l’intercession d’un saint. On a conservé un grand nombre de collections de miracles, les guérisons étaient consignées dans des registres, conservées sur les lieux (tombe ou sanctuaire) avec le nom de la personne, sa maladie et le type de guérison obtenue."
Les hommes ont besoin d'intercesseurs proches
Quelles étaient les pratiques d'alors pour obtenir des guérisons? "Les croyants ramassaient de la poussière sur la tombe du saint, la versait dans un verre d’eau pour ensuite le boire ou alors ils récupéraient un peu d’huile dans la lampe allumée sur la tombe et pratiquaient une onction" raconte le père Bodding.
Le culte des saints guérisseurs s’explique aussi par un besoin de personnes proches. Au Concile de Nicée (345), Jésus est déclaré vrai homme et vrai Dieu, or cette décision a contribué à éloigner le Christ, à le mettre sur un piédestal, les gens ont alors eu besoin d’intercesseurs plus proches.
Face à l'ampleur de cette dévotion populaire, les évêques s'assuraient tout de même de la qualité chrétienne des individus ainsi vénérés et des circonstances de leur mort. C’est bien plus tard, au cœur du Moyen-Age (Xe s.), que le pape prendra la main, à la demande de ces derniers, et qu’une procédure standardisée verra le jour .
Les saints dans l'art et la littérature
Après le règne de Constantin, qui a donné un statut officiel à l'Eglise, la sainteté change de visage.
D’autres figures viennent s’ajouter aux martyrs des premiers siècles, ce sont principalement des moines, des ermites, des ascètes ou encore des évêques. Si, en Orient, le culte des saints se déploie principalement dans l'art de l'icône, dans une dynamique clairement sacramentelle, en Occident, il trouvera son expression privilégiée dans la miniature et la statuaire avec une dimension plus pédagogique.
Apparait aussi un nouveau genre littéraire, l’hagiographie, qui rassemble les vies de saints. Des textes sans aucune prétention historique, mais rédigés pour défendre la cause de tel ou tel saint, pour souligner ses qualités, les circonstances particulières et les faits miraculeux de sa vie. Dans ces Vies de saints, viendront se greffer toute une série de légendes (littéralement "ce qui doit être lu").
Les Réformés rejettent le culte des saints
Nous pourrions aussi parler, mais le sujet en soi mériterait un article, de l'invention et du trafic des reliques qui accompagnent cette dévotion.
Avec la Réforme, le culte des saints est fortement contesté, la vénération des reliques prend trop d’importance aux yeux des réformés, qui appellent à un retour à la parole et au prêche, ils dénoncent ces dérives populaires, critiquent le recours à des saints intercesseurs qui finissent par prendre la place de Dieu.
Il est vrai que la période faste pour les canonisations s’étale entre les Concile de Trente (16e s) et Vatican II ; le calendrier liturgique des saints s’est vite trouvé "embouteillé", souligne André Haquin. La dévotion étant parfois tellement forte que le culte du saint prenait le pas sur les lectures du dimanche, détrônant ainsi le Christ.
Les demandes pour des rites de guérisons restent d'actualité
Robert Godding ajoute encore: "Les gens de cette époque avaient une très grande foi dans la possibilité d’être guéri, et on sait aujourd’hui l’importance du psychologique."
Le professeur et le bollandiste s’accordent pour souligner que le saint invoqué, s’il obtient la guérison, ne l’accomplit pas. Et cet appel aux saints guérisseurs ou protecteurs est particulièrement vivace dans les périodes instables et incertaines, le saint devient un refuge quand l’Etat est défaillant, une réalité que nous redécouvrons peut-être aujourd’hui avec la crise sanitaire, ose Robert Godding.
André Haquin constate également une recrudescence des demandes de rites, prières et onctions de guérison, chez les catholiques mais aussi chez les orthodoxes et les protestants. "C’est un aspect de la pastorale populaire devenu important", affirme-t-il. Aujourd’hui, l’Eglise doit pouvoir discerner et réfléchir à la manière d’accueillir et d’accompagner ces demandes qui relèvent tant de la pastorale que du médical, de la guérison physique que du salut.
Sophie DELHALLE
📌 Pour aller plus loin...
- Toussaint : Des saints aux petits soins
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