Depuis les origines du christianisme, des chrétiens ont témoigné de l’amour du Christ en prenant soin des autres, parfois de manière assez spectaculaire, en accomplissant des miracles de guérisons. Qui sont ces saints guérisseurs? Comment leur culte s’est-il développé au sein de l’Eglise? Eléments de réponse avec deux experts.

« Le culte des saints remonte au IIe siècle de notre ère, alors que l’Eglise n’est pas encore tolérée et ne jouit en fait d’aucune existence légale », débute André Haquin, prêtre et professeur émérite de théologie liturgique et sacramentaire de l’UCLouvain. Les premiers saints à apparaître dans la généalogie des chrétiens sont en fait des martyrs, c’est-à-dire des « témoins » qui ont suivi le Christ jusqu’à la mort. Mais la sainteté a mille visages, poursuit le professeur, elle peut être en effet d’ordre héroïque mais peut aussi se déployer au quotidien, comme l’a affirmé François dans son exhortation apostolique Gaudete et exsultate.
Sanctification populaire
Les premiers saints n’ont pas fait l’objet d’une canonisation réglementaire; aux premiers temps du christianisme, ce sont en réalité les fidèles qui « font » les saints, en leur vouant un culte, en priant sur leur tombe, en obtenant ainsi des guérisons ou miracles. « Les croyants ramassaient un peu de poussière sur la tombe du saint, la versaient dans un verre d’eau pour ensuite le boire. Ou alors ils récupéraient un peu d’huile dans la lampe allumée sur la tombe et pratiquaient une onction », explique le père Robert Godding sj, directeur de la Société des Bollandistes. Aussi, « au Concile de Nicée, Jésus est déclaré vrai homme et vrai Dieu, cela a contribué à éloigner le Christ, à le mettre sur un piédestal, les gens ont alors eu besoin d’intercesseurs plus proches et de gestes concrets », poursuit-il.
Inquiets par l’ampleur du phénomène, les évêques, s’assuraient toutefois de la qualité chrétienne des individus ainsi vénérés et vérifiaient les circonstances de leur mort, raconte André Haquin. C’est donc bien, aux origines, la piété populaire, par un mouvement spontané, qui a conduit à la sanctification de certains chrétiens, dont les noms sont très vite associés à la liturgie et vénérés le jour de leur « dies natalis » (naissance céleste). Les saints sont considérés comme des modèles, des amis, et aussi des protecteurs.
Avoir foi dans la guérison
Après le règne de Constantin, l’Eglise ayant été reconnue, la sainteté change encore de visage. Aux martyrs des premiers siècles, viennent s’ajouter des moines, des ermites, des ascètes ou encore des évêques. A partir du Xe siècle, la procédure technique de canonisation « standardisée » relève exclusivement de l’autorité papale.
Selon nos deux experts, le culte des saints, et particulièrement des saints guérisseurs qui accomplissent des miracles de guérison, est caractéristique du Moyen Age, période où la médecine est quasi inopérante. « Les personnes malades n’avaient pas d’autres recours que de demander l’intercession d’un saint », avance Robert Godding. « On a conservé un grand nombre de collections de miracles, les guérisons étaient consignées dans des registres, conservées sur les lieux de dévotion [tombe ou sanctuaire] avec le nom de la personne, sa maladie et le type de guérison obtenue. » Robert Godding ajoute encore: « Les gens de cette époque avaient une très grande foi dans la possibilité d’être guéri, et on sait aujourd’hui l’importance du psychologique. » Le professeur et le bollandiste s’accordent pour souligner que le saint invoqué, s’il obtient la guérison, ne l’accomplit pas. Et cet appel aux saints protecteurs est particulièrement vivace dans les périodes instables et incertaines. « Le saint devient un refuge quand l’Etat est défaillant, une réalité que nous redécouvrons peut-être aujourd’hui », ose Robert Godding.
Et aujourd’hui?
En effet, André Haquin constate également une augmentation des demandes de rites, prières et onctions de guérison, tant chez les catholiques que les orthodoxes et les protestants. « C’est un aspect de la pastorale populaire devenu important », affirme-t-il. Aujourd’hui, l’Eglise doit pouvoir discerner et réfléchir à la manière d’accueillir et d’accompagner ces demandes qui relèvent de la pastorale et du médical, de la guérison physique et du salut.
Si le soin fait partie de l’ADN du christianisme et de l’Eglise, une profonde réflexion s’impose. François appelle d’ailleurs l’Eglise à devenir un hôpital de campagne. Il a également consacré un chapitre entier à la parabole du bon Samaritain dans sa dernière encyclique.
A côté des saints médecins reconnus, le prêtre et professeur veut conclure en évoquant aussi la sainteté au quotidien, celle de tous ceux qui font preuve de compassion, notamment au sein des pastorales, telle les visiteurs de malades, les aumôniers d’hôpitaux… qui viennent compléter le panthéon des « saints aux petits soins ».
Sophie DELHALLE