Il existe une tradition spécifique et multiséculaire du tatouage chrétien à Jérusalem. L’Eglise n’a jamais encouragé cette pratique qui, néanmoins, continue de séduire bon nombre de croyants. CathoBel a mené l’enquête pour essayer de comprendre ce qui poussent des chrétiens, aujourd’hui encore, à afficher leur foi à fleur de peau.

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Peu de gens le savent, mais, au XVIIe siècle, tous les chevaliers du Saint-Sépulcre de Jérusalem se faisaient tatouer lors de leur pèlerinage en Terre Sainte. Mais la tradition orientale est bien plus ancienne.
Au 15e siècle, les chrétiens européens imitent les orientaux
Les chrétiens nés en Terre Sainte au VIe siècle seraient les premiers à s’être fait tatouer. Vers le VIIe siècle, avec l’arrivée de l’Islam en Egypte, les coptes, sont tatoués de force d’une croix sur leur poignet droit intérieur. Au fil du temps, ils finissent par adopter cette tradition et la croix tatouée devient un signe d’appartenance aux Eglises coptes. (cfr ci-dessous « Une carte d’identité tatouée »)
Dès le 15e siècle, les chrétiens européens qui venaient en pèlerinage ont imité leurs frères orientaux. Pour certifier de leur pèlerinage et pour emporter un souvenir impérissable à leurs yeux, ils se faisaient tatouer. Pour les XVI et XVIIe siècles, les récits de pèlerins font d’ailleurs mention de cette tradition. Les « tatoueurs » qui officient pour les occidentaux sont les drogmans (les interprètes) des franciscains, employés de la Custodie. Toutefois, les institutions ecclésiastiques antique et médiévale n’ont jamais encouragé le tatouage.
Se faire tatouer malgré l’interdit de l’Ancien Testament
Même chez les Coptes (chez qui la pratique est la plus ancienne), les prêtres ont exprimé des admonestations contre la pratique du tatouage parmi les chrétiens, et ce dès l’époque byzantine. En Nubie, Abyssinie chrétienne, où les chrétiens se tatouaient, il est significatif de remarquer que le tatouage n’a jamais été intégré aux sacrements. Aussi le prêtre n’est jamais celui qui tatoue, les élites sacerdotales savaient très bien que le tatouage était formellement interdit par l’Ancien Testament. Cette même interdiction se retrouve dans l’Islam.
Le christianisme affirme la supériorité de la marque reçue au baptême, le sceau, ce dessin de la croix effectué par la main de l’évêque. Saint Augustin, dans un sermon, dit explicitement que cette marque du baptême est plus durable que le tatouage dont étaient marqués les soldats romains à son époque. Une marque invisible et indélébile qui rend inutile toute forme de marquage corporel. Pourtant, c’est bien la foi populaire et la dévotion qui semblent avoir conduit les chrétiens à se faire marquer.
Les pèlerins veulent s’identifier au Christ jusque dans leur chair

(c) Razzouk Tattoo
À partir du XVIIe siècle, les tatoueurs disposaient de blocs de bois gravés de différents motifs qu’ils trempaient dans une peinture avant de l’appliquer sur le bras. Ils n’avaient plus ensuite qu’à suivre avec leurs aiguilles imbibées d’encre les traits pour les reproduire dans la peau.
Le spécialiste de la tradition du tatouage chez les pèlerins de Jérusalem, l’israélien Mordechay Lewy, ancien ambassadeur d’Israël près le Saint-Siège, estime qu’on peut y voir un désir d’identification aux souffrances du Christ. La marque de Jérusalem, restant dans la peau du pèlerin comme les plaies de la Passion sur le corps du Christ ressuscité.
Cela expliquerait aussi chez les Latins l’attrait particulier pour le tatouage de la Croix de Jérusalem et la bienveillance des Franciscains à voir les fidèles se faire marquer les cinq croix dans lesquelles ils reconnaissent les cinq plaies du Christ comme aussi les stigmates de saint François d’Assise, fondateur de la Province de Terre Sainte.
Malgré les risques, la douleur, la fièvre, la tradition perdure, et au milieu du XIXe siècle, les tatoueurs promettent des tatouages indolores.
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Une carte d’identité tatouée
Les Coptes se font tatouer dès l’âge de 5 ans d’une croix au poignet ou à la commissure de l’index et du pouce. Il s’agit là d’un signe de reconnaissance en l’absence de papier d’identité, notamment pour entrer dans les couvents. Une tradition pluriséculaire puisque le tatouage chez les chrétiens coptes et éthiopiens est attesté depuis 1 500 ans.
En Éthiopie, on se fait volontiers tatouer au visage. Mais quand il s’agit de se faire tatouer lors d’un pèlerinage à Jérusalem, c’est l’intérieur de l’avant-bras droit qui a toutes les faveurs, sans que l’on sache pourquoi. Certains Arméniens qui vivent en Turquie choisissent de se faire tatouer entre les doigts pour plus de discrétion. On relève aussi dans certains villages une pratique assez particulière : tatouer une minuscule croix sur le front des femmes, afin de les protéger contre des rapines turques, peut-on lire sur le net.
Le tatouage chrétien dans les Balkans était une coutume répandue parmi les femmes et les enfants orthodoxes et catholiques pendant le règne ottoman sur les Balkans. Les femmes chrétiennes ont été tatouées dans l’espoir d’éviter l’esclavage islamique. Chez les Croates, le tatouage est devenu un art.
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Chez les Razzouk, on tatoue les pèlerins de Jérusalem de pères en fils
Il en voit défiler des nationalités, dans son petit salon de tatouage à Jérusalem. Wassim Razzouk n’était pourtant pas convaincu de reprendre l’activité de ses aïeux. « Honnêtement, je n’aime pas la vue du sang. Je n’avais pas envie de prendre la suite. C’est la lecture d’un article sur cette tradition ancestrale dans ma famille, une tradition menacée de s’éteindre, qui m’a convaincu de m’y mettre en 2009. Aujourd’hui, je suis heureux de le faire et d’ores et déjà un de mes fils manifeste de l’intérêt. Je lui enseignerai, comme mon père me l’a enseigné qui l’avait reçu de son père. »
Une héritage de près de 500 ans

(c) Razzouk Tattoo
Près de la porte de Jaffa, à l’entrée du quartier chrétien de la vieille ville de Jérusalem, Wassim Razzouk incarne la vingt-cinquième génération de Palestiniens coptes chrétiens tatoueurs.
Parmi ses outils, Wassim compte des tampons gravés dans du bois d’olivier vieux de plusieurs siècles. Le plus ancien, une croix de Jérusalem, date de près de 500 ans et lui provient, comme les autres, de son héritage familial transmis de père en fils.
A chacun sa croix
Le tatouage est une pratique utilisée au sein même de l’Église copte et sert de preuve aux pèlerins pour distinguer les chrétiens coptes des non-chrétiens. Néanmoins, qu’elles soient latines, maltaises, celtiques, éthiopiennes, russes orthodoxes, aucune croix ne manque à l’appel.
Un art qui continue de se transmettre
Des centaines de pèlerins du monde entier affluent dans les Lieux Saints, particulièrement pendant la Semaine Sainte. Des groupes se relaient quotidiennement dans la petite boutique blanche, qui ne désemplit pas. « Certains peuvent attendre des heures dans la file» raconte Wassim. Christ ressuscité, Vierge à l’Enfant, Saint Georges,… le catalogue de Wassim est vaste, chacun peut donc y trouver son bonheur, quand il ne vient pas avec une demande précise. « Je ne me considère pas comme un tatoueur typique, confie encore Wassim. Nous tatouons des pèlerins religieux, des personnes âgées, des prêtres et des moines. » Aujourd’hui, Wassim transmet son art à d’autres tatoueurs, désireux de perpétuer eux aussi un savoir-faire ancestral.
Sophie DELHALLE
Merci à Marie-Armelle Beaulieu pour son éclairage et son apport dans la rédaction de cet article.
>>> Découvrez aussi nos deux autres épisodes consacrés aux tatouages chrétiens:
Tatouages chrétiens d’hier à aujourd’hui: quand le corps devient cathédrale (2/3)
Tatouages chrétiens d’hier à aujourd’hui : une foi chevillée au corps (3/3)