La polémique autour du carnaval d’Alost, qui s’est déroulé dimanche dernier, remet en avant une question à laquelle les réponses ont varié au fil des époques: peut-on rire de tout? En fait, la question est plus épineuse qu’on ne le croit. Apparu dès l’antiquité, le carnaval a toujours eu pour but de railler les puissants. Le but du carnaval tel qu’on le connaît aujourd’hui dans de nombreux pays européens, était déjà au XIXe siècle, de se moquer de l’aristocratie et du roi avec des masques et des déguisements ridicules. Dans ce contexte, la caricature est évidemment de mise.
Toutefois, l’histoire du carnaval a aussi des parties sombres. Et c’est là que la polémique née de la caricature des Juifs lors du défilé alostois de ce week-end (déjà apparue en 2019) prend tout son sens. Faut-il rappeler qu’en Allemagne, les Juifs furent évincés des sociétés carnavalesques de Cologne en 1923 alors que la crise frappait le pays et qu’ils étaient considérés comme les responsables de celle-ci. La situation empira encore avec l’avènement des nazis au pouvoir en 1933. En 1936, un char fait référence au camp de concentration de Dachau (alors lieu d’internement d’opposants politiques, bien avant que les Juifs de Bavière y soient emprisonnés) et un autre décoré d’une étoile de David stigmatise les Juifs, en les présentant comme des escrocs.
A la lecture de ces faits, les caricatures des Juifs lors du carnaval d’Alost (sans doute encore exagérée par représailles envers l’Unesco qui a retiré le défilé alostois de la liste du patrimoine culturel immatériel) prennent une tout autre dimension. L’assimilation de cette communauté à des fourmis – dont on sait qu’en groupe, le comportement peut être dévastateur – n’est donc pas anodin. Ceux qui ont mis en scène cette mascarade ont-ils réalisé ce que signifiait celle-ci? Laissons-leur le bénéfice du doute.
Pour se défendre, le bourgmestre d’Alost affirme que toutes les religions sont fustigées durant le carnaval de sa cité. Qu’importe: la moquerie ne peut se justifier lorsqu’elle heurte profondément, et encore moins lorsqu’un passé, pas si éloigné, a montré les dégâts que cause ce type de caricatures.
Il ne s’agit pas de se donner bonne conscience à tout prix et encore moins de s’ériger en procureur: il est du devoir de respecter l’autre. Et d’adapter notre comportement à la lecture de l’Histoire et de ses enseignements.
Jean-Jacques DURRÉ
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