Soudain la nouvelle est tombée. Un bandeau rouge dans le bas de nos écrans. Quatre mots à peine. Jacques Chirac est mort. Si on eut pu s’y attendre, l’info fait office de bombe sur ce qu’on aurait appelé en son temps, les « téléscripteurs ». En l’occurrence, de nos jours, sur les réseaux, dans nos poches où que l’on soit. Chirac est mort.
On a tout entendu sur les chaines et les ondes qui ont, comme il se doit, chamboulé leur programme pour l’occasion. Ce jour restera marqué par cette disparition sinon tragique, sûrement historique. S’il ne l’était pas encore, Jacques Chirac entre dans l’Histoire, celle de France et de l’Europe, celle du monde aussi. Alors, on voit revivre l’homme d’Etat à travers toutes les étapes de sa vie. Il a tout gagné, tout perdu aussi. On redécouvre un homme tenace mais meurtri personnellement, un père triste, une fille aimante, une épouse amoureuse et fidèle. L’homme était ambitieux, combatif, drôle mais aussi et surtout profondément humain. Meurtri par la maladie de sa fille aînée, par les trahisons de son camp, d’amis de trente ans ou de son « fils spirituel ». On découvre un président bien-aimé.
Le temps du souvenir
Ce 26 septembre, le sentiment d’avoir perdu un proche dont on n’a jamais partagé la table (à regret!), est bel et bien présent. Jacques Chirac était de ces bons vivants, amoureux de la chère et de la terre, du terroir et des gens. Un amoureux de la France et de la vie. Son large sourire ou ses lèvres pincées inondent les écrans. Ses bons mots, petites phrases et colères nous reviennent en mémoire. Le Président Chirac n’est plus. La fin d’une époque, la fin d’une certaine idée de la politique de «papa ». Le dernier des grands hommes. Il était de ceux qui ont combattu. Le dernier président élu à avoir connu la guerre et participé à l’une d’elles. Secrétaire d’Etat sous de Gaulle déjà, porté par Pompidou, repoussé par Giscard, finalement copain de Mitterand. Chirac a tout connu. Oui, qu’on le veuille ou non, il a fait partie de nos vies, de notre histoire. Le premier à reconnaître la sombre collaboration de l’Etat français avec l’occupant nazi, le premier à convier un chancelier allemand aux commémorations du débarquement en Normandie. « La Maison brûle, on regarde ailleurs! », il l’avait dit, voilà plus de dix ans déjà. Visionnaire? Pas pour tout, c’est certain. Mais attaché à l’homme et à l’humanité, c’est sûr. Un homme qui aime autant se régaler ne peut pas être mauvais. Attachant, bienveillant sont les mots qui reviennent souvent. Qui l’eut cru? Il suffisait pourtant de le regarder au cœur des terroirs, sur les marchés, parmi la foule. Il était de ces hommes sincères qui avaient du cœur. Le chef de bande d’une famille française (presque) comme les autres, parvenue au pouvoir.
Pour ceux qui l’ont connu, il reste un homme secret, paradoxal, cultivé, le dernier des humanistes. Il fut l’un des derniers chefs d’Etat à œuvrer véritablement à la construction européenne dont il recommanda sa poursuite lors de son discours d’adieu aux Français. Il refusa la guerre en Irak. Selon lui, « Après, ce sera pire ». Pour le coup, il avait raison, là encore. Il fit aussi entrer l’Euro dans l’Union. On a beau ne pas être Français ni franchouillard, la disparition du Président Chirac et l’émotion qu’elle a engendré réveillent nos consciences sur la fin d’un temps. Il n’est plus là. Une page se tourne avec lui. Sans sombrer dans le passéisme idyllique ou la nostalgie à trois sous, les plus de trente ans auront à cœur de cultiver une certaine mélancolie. Mélancolie d’une époque qui fit aimer un maire de Paris à travers les railleries d’un corbeau bleu au bec immense au bar du bêbête Show de Collaro ; qui fit élire un président mangeur de pommes aussi grâce aux Guignols de l’Info.
Oui, porté en terre, Chirac emporte avec lui, le souvenir d’une société plus insouciante et plus légère, d’une société en marche qui n’avait pas encore perdu tout ces repères. Restera le souvenir d’un homme de cœur, d’un chef d’Etat, finalement aimé, qui aura tenté de faire de son mieux, conscient que ce n’était pas assez. Visiblement ému, fébrile même, face à lui, aux Invalides lors de l’hommage militaire, le jeune président Macron, aura sans doute pensé à tout ce qu’il lui reste à faire, à ce lourd héritage. Le passage de relais est désormais bel et bien enclenché.
Régine KERZMANN