Poursuivant ses visites avec l’Europe orientale, le pape François se rendra en Roumanie du 31 mai au 2 juin prochain. Ce pays orthodoxe des Balkans, où l’on parle une langue latine, a toujours constitué un pont entre l’Occident et l’Orient.
Il y a un détail intéressant dans ce voyage: François est invité par le gouvernement roumain et non par l’Eglise orthodoxe roumaine, même si les contacts entre Rome et le Patriarcat orthodoxe de Roumanie ont toujours été plus cordiaux que ceux avec les Eglises autocéphales avoisinantes dans les Balkans et les pays slaves. En 1999, c’est précisément en Roumanie que le pape saint Jean-Paul II a effectué sa première visite d’un pays à majorité orthodoxe. Il y avait rencontré le Patriarche orthodoxe roumain Théoctiste. C’était la première rencontre d’un pape de Rome avec un patriarche d’une Eglise orthodoxe autocéphale depuis le Grand Schisme de 1054. Les précédents contacts pontificaux avec l’orthodoxie se limitaient à des rencontres avec le Patriarche œcuménique de Constantinople.
L’actuel primat de l’Eglise orthodoxe roumaine, le Patriarche Daniel, a été élu en 2007, à l’âge de 56 ans, ce qui est particulièrement jeune. Après avoir obtenu un doctorat en théologie systématique à l’université de Bucarest, il a poursuivi ses études à la faculté de théologie protestante de Strasbourg en France, et à la faculté de théologie catholique de l’université Albert Ludwig à Fribourg-en-Brisgau, en Allemagne. Par la suite, il a prononcé ses vœux religieux au monastère de Sihǎstria. Le Patriarche Daniel s’exprime en plusieurs langues: le roumain bien sûr, mais également le français, l’allemand, l’anglais voire un peu d’italien. C’est dire qu’il est conscient de son rôle de médiateur entre l’Orient orthodoxe et l’Occident catholique et protestant.
Dans la ligne de Nicolae Ceaușescu?
François et Daniel doivent s’entretenir en privé durant une heure, avant que le pape s’adresse au Synode permanent de l’Eglise orthodoxe roumaine. Ensuite, ils réciteront ensemble le « Notre Père » dans la nouvelle « Catedrala Mântuirii Neamului Românesc » (Cathédrale du Salut de la Nation roumaine). Cet édifice gigantesque, dont la construction entamée en 2011 n’est pas encore terminée et dont les coûts élevés font polémique, a été inaugurée en présence du Patriarche œcuménique Bartholomée Ier en novembre dernier. Une fois achevé, le bâtiment devrait atteindre plus de 120 mètres de haut, pouvoir accueillir plus de cinq mille fidèles et contenir une bibliothèque, un hôtel, des salons de réception et la résidence du Patriarche.
A propos de cette cathédrale, certains osent évoquer une ressemblance avec le fameux palais de Nicolae Ceaușescu. Le « salut d’une nation » advient par le devoir de mémoire, la catharsis des crimes, l’adoption de valeurs humanistes et la lutte contre la corruption, non par un bâtiment qui, de plus, se situe dans la lignée de ceux construits sous la dictature communiste, font-ils valoir. Ce devoir de mémoire est un sujet hautement sensible en Roumanie: sous Nicolae Ceaușescu, tous ceux qui étaient perçus comme bourgeois, artiste, intellectuel ou spirituel, risquaient d’être jetés en prison, voire torturés ou exécutés. Le procès de cette répression communiste n’a pas encore été fait. Il n’y a même pas encore de vrai musée ou de centre de documentation sur les atrocités commises pendant la dictature communiste.
Petite communauté catholique
Alors que quatre Roumains sur cinq sont orthodoxes, les catholiques de rite latin ne forment qu’une petite minorité de 4% et les catholiques de rite byzantin représentent moins d’1% de la population. Mais il est évident que toutes les communautés chrétiennes ont souffert. Beaucoup de leurs membres n’ont pas survécu à la dictature. Non seulement ceux des minorités évangéliques ou catholiques perçus comme des agents de l’Occident, mais aussi les orthodoxes roumains dont de nombreux prêtres et moines. Cependant, dès décembre 1948, sous l’impulsion de Staline, l’Eglise gréco-catholique a été mise carrément hors-la-loi.
Le dimanche 2 juin, au Champ de la Liberté à Blaj, dans le centre du pays – où est aussi située la résidence de Mgr Lucian Muréșan, l’actuel primat de l’Eglise gréco-catholique de Roumanie – le pape François procédera à la béatification de sept évêques gréco-catholiques exécutés dans les geôles communistes. Et avant de regagner le Vatican, le Saint-Père rencontrera encore la communauté Rom de Blaj. Selon un recensement officiel de 2011, le pays compte plus de six cent mille Roms, mais comme les communautés tziganes préfèrent souvent ne pas se déclarer officiellement « Rom », on estime que leur nombre pourrait s’élever à deux millions. Et les frictions sociales entre Roms et Roumains demeurent hélas encore très nombreuses.
Benoit LANNOO