Il m’arrive souvent, de ces temps-ci, de penser au pape François. Quel poids ne porte-t-il pas? Son nom dit si bien sa mission. Un ami m’a rapporté ce mot prophétique de feu le cardinal Danneels: "L’Eglise a besoin d’un nouveau François: tout ce qui nous encombre, il ne l’avait pas, tout ce dont nous avons besoin, il l’avait." Le saint d’Assise est en effet bien connu pour son amour de la nature et sa "sobriété heureuse". Le Poverello était aussi intensément attaché au Christ - rappelons-nous les stigmates - et soucieux de toute l’Eglise. Dans la chapelle lézardée de San Damiano, il avait entendu Jésus lui dire: "Rebâtis mon Eglise!" Le jeune converti avait d’abord cru qu’il s’agissait de maçonner. Mais très vite, il comprit qu’il était question de l’Eglise avec un E majuscule. Il rencontrera un jour le pape Innocent III pour lui présenter son projet de fraternité. Or, ce pontife avait vu en rêve la basilique du Latran, l’église-mère de Rome, qui allait s’écrouler. Et voilà que Dieu lui faisait signe par ce pauvre sans allure. Par les nombreuses petites communautés franciscaines qui sont nées dans sa mouvance, François apportait en effet la réponse à l’Eglise de l’époque.
Une double crise
C’est souvent par le bas que l’Eglise a pu renaître, à partir de petites poches de fraternités évangéliques. Ne serait-ce pas ce dont nous avons un urgent besoin aujourd’hui? Nous traversons en effet une crise profonde, la plus forte depuis 400 ans, a-t-on pu écrire. Elle me semble double, dans nos pays, externe et interne.
Externe. Nous assistons de manière assez radicale à la disparition de la "matrice catholique" de notre société, à la fin du "modèle paroissial". Jadis, l’institution romaine quadrillait tout le territoire - nombre de villages et de villes portent encore un nom de saint. Toutes les étapes de la vie étaient encadrées par elle, quasi chaque association avait son aumônier. L’Eglise dictait les valeurs, soutenait les arts, organisait les universités et offrait un sens à la vie par sa spiritualité. Notre société était chrétienne. On en est loin aujourd’hui. Faut-il adorer ce passé florissant? Ce serait une mauvaise idée. Il s’agit plutôt de vivre un tournant, un retour à l’essentiel, par-delà les formes - louables en son temps sans doute - qu’elle a prises au gré de l’histoire.
Trois cercles concentriques
Notre place dans le monde a aujourd’hui changé. J’aime voir trois cercles concentriques, séparés par une frontière en léger pointillé. Il y a ceux qui, appartenant à d’autres religions ou même s’opposant à toute religion, vivent des valeurs semblables à celles de l’Evangile. Ils puisent dans le fonds commun de l’humanité - nous avons tous été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. Il y a, deuxième cercle, ceux qui se réclament des "valeurs chrétiennes" sans pour autant entretenir une relation avec Dieu et son Christ. Ils ont hérité de ces siècles d’imprégnation chrétienne. Et, enfin, au centre, cette koinonia, cette communion fraternelle en Jésus, l’Eglise proprement dite.
Mais la crise est aussi interne. Dans cette koinonia, l’institution a pris trop de place par rapport au cœur de la foi, la suite de Jésus. Elle est devenue lourde et fragile tout à la fois, passible de tous les dérapages et scandales. Jésus n’était pas venu fonder une institution garantissant au monde la véritable religion. Il avait simplement mis en marche une "mouvance de disciples" et leur a donné la mission d'annoncer et de répandre son projet de Royaume de Dieu. Il nous faut réactiver notre adhésion au Christ: "croire à ce qu'il a cru; vivre ce qu'il a vécu; donner de l'importance à ce à quoi il en a donné; s'intéresser à ce à quoi il s'est intéressé; traiter les personnes comme il les a traitées; regarder la vie comme il la regardait; prier comme il a prié; communiquer l'espoir, comme il l'a fait" (José Antonio Pagola). Tel est le programme à remettre en œuvre de toute urgence.
Charles DELHEZ sj