Enseignants, élèves en résidence, artisans, personnel, tous se pressaient au pied de l’église pour suivre les pérégrinations du clocher en suspension. Après vingt ans d’attente, place à une reconstitution spectaculaire.
Le transfert s’est effectué sans encombre sous l’œil réjoui des badauds et des professionnels venus observer la balade aérienne. Ce 23 mai, l’émotion était palpable parmi l’assistance. La responsable de la formation aux métiers du patrimoine, Ingrid Boxus, se réjouit de cette restauration « à l’identique », voyant dans la réalisation de cet ouvrage de près de huit mètres « l’apothéose de la transmission ». Disparu du paysage depuis deux décennies, l’imposant clocher surmonté d’un bulbe a désormais réintégré son espace initial, conférant un changement majeur dans l’identité et la perception générale du site. Une formatrice venue assister à l’événement explique combien la vue en direction de l’ancienne abbaye cistercienne va changer. « La première chose que j’apercevrai le matin, en arrivant travailler, ce sera le clocher de l’église! » La restauration de la charpente de l’église abbatiale et du clocher a été l’objet d’un chantier de formation lancé en avril 2017. « Le chantier a été géré via un marché public avec un lot de formation pour le clocher, directement géré par le centre de formation. Durant la période hivernale, des sessions de formation ont été organisées pour la couverture du clocher avec des ardoises naturelles et la mise au plomb, cette technique du XIXe qui protège le bois et épouse aisément les formes. Un public varié a assisté à ces formations », précise la responsable du centre. Car celles-ci ne s’adressent pas nécessairement à des débutants, mais à des professionnels qui souhaitent compléter leurs connaissances en restauration d’art et « se former à ces techniques particulières » en usage dans les bâtis anciens. Le choix de la période hivernale est opportun, puisqu’il s’agit du moment de l’année où, en raison des intempéries, le personnel est souvent contraint au chômage technique.
Un chantier grandeur nature
Entrepris pas à pas, phase après phase, les travaux de restauration de l’ancienne abbaye ont débuté en 1997 avec la remise en état des bâtiments de l’ancien quartier des Hôtes, là où se trouvent à présent les principaux locaux du centre des métiers du patrimoine avec notamment des salles de cours, une salle de conférence et toutes les autres pièces dévolues au fonctionnement de la nouvelle affectation patrimoniale. Toutefois, la sonnerie d’une cloche ne rythmera pas les activités du centre. En effet, « le bâti de cloche intérieur n’a pas été remis. L’affectation de l’église sera en lien avec le centre de formation aux métiers du patrimoine, puisque l’église sera réaffectée en dix ateliers, parmi lesquels la dinanderie, la dorure, le vitrail… La finalisation du chantier de l’église abbatiale est prévue en 2020 », explique encore Ingrid Boxus. En Wallonie, près de 4.000 biens sont « classés au titre de monument, de site, de site archéologique ou d’ensemble architectural ». Ceux-ci se trouvent gérés par l’AWaP, l’Agence wallonne du Patrimoine. A côté des activités de préservation et de promotion du patrimoine, l’AWaP a en charge la formation à des métiers directement liés au patrimoine. C’est dans ce contexte de transmission des savoirs que le centre de la Paix-Dieu a vu le jour. Depuis septembre 2016, un deuxième lieu de formation a été créé, avec le Pôle de la pierre installé à Soignies. Comme son nom l’indique, celui-ci se trouve consacré aux métiers de la pierre.
Intéresser les jeunes générations
Professeur de français et d’histoire au collège liégeois Saint-Barthélemy, Antonio Polizzi est un habitué des lieux. Il vient tous les ans au centre de la Paix-Dieu, accompagné d’une classe différenciée. Cette année, ils sont 15 à bénéficier d’un séjour en immersion. Au menu, quatre demi-journées d’animation autour du vitrail, avec un artisan, venu témoigner et montrer toutes les subtilités de son art de prédilection. Les autres périodes de cette mini-semaine sont consacrées à la découverte de l’abbaye, son histoire et sa restauration. « Les élèves en décrochage ou en grande difficulté de compréhension des matières théoriques ont ainsi l’occasion de voir autre chose que l’enseignement général. Ils découvrent des métiers manuels, avec une composante artistique. Soigné, un travail en maçonnerie peut, par exemple, produire un beau résultat. » Et l’enseignant de déplorer la pression sociale qui piège trop souvent les élèves dans l’enseignement général. Pris par le mythe de la réussite sociale, lié à l’acquisition d’un diplôme de médecin ou de juriste, les jeunes se retrouvent empêtrés dans un type d’enseignement qui ne leur convient pas nécessairement. Par méconnaissance, ils n’osent pas bifurquer vers un autre type d’enseignement. « Moins motivés par l’étude, les élèves sont aussi moins soutenus par leur famille, qui délègue davantage aux remédiations, aux écoles de devoirs, au soutien scolaire… » Des formules toutes faites censées suppléer aux lacunes d’apprentissage. L’immersion dans un centre dédié aux métiers du patrimoine, souvent en pénurie, a le grand mérite d’initier et de sensibiliser de potentiels candidats, plus encore de les ouvrir à d’autres réalités. Les bâtiments anciens ont de beaux jours devant eux, leurs artisans aussi.
Angélique TASIAUX