
« La politique n’est pas un métier, c’est une vocation. »
Issu d’une grande famille dans laquelle depuis 1830 politique et écriture ne sont que rarement dissociées, Charles-Ferdinand Nothomb fut au premier plan de notre vie publique comme ministre notamment à l’époque du drame du Heysel, comme Président de parti et enfin au perchoir de la Chambre des Représentants. Retour sur une carrière multiple, étonnante, empreinte d’une grande éthique.
Charles-Ferdinand Nothomb comme de nombreux membres de sa famille ne s’est jamais posé la question de savoir s’il devait s’investir dans la fonction publique. Il se destinera donc au service de l’Etat, une carrière qu’il commença comme secrétaire d’administration au ministère des Affaires économiques dont le Secrétaire général s’appelait Jean-Charles Snoy, l’un des négociateurs et signataires du Traité de Rome aux côtés de Paul-Henri Spaak.
Mais la famille Nothomb, ce sont aussi d’immenses talents d’écriture dont les prénoms signataires et les œuvres sont innombrables. Il y eut bien entendu Pierre Nothomb qui mit d’abord sa plume au service d’une certaine idée du nationalisme belge pour ensuite se consacrer au roman et à la poésie. Paul Nothomb écrira sur le drame d’un communiste repenti, puis sa connaissance de l’hébreu lui permettra de revisiter les traductions de la Genèse en amendant certaines d’entre elles. Le Père Dominique Nothomb, missionnaire au Rwanda, consacra un remarquable ouvrage sur l’humanisme africain. De Simon-Pierre à Jean-François, grand résistant et devenu petit frère de Jésus, très engagé aux côtés des prêtres ouvriers, on ne compte plus les écrits de cette grande famille du Luxembourg belge, en y ajoutant bien entendu Patrick Nothomb, le diplomate et ses deux filles illustrissimes Amélie et Juliette, sans oublier le dernier romancier de la tribu, Philippe.
Le choix du Parti Social Chrétien (PSC) se fit sans hésitation pour le jeune Charles-Ferdinand non pas par pure tradition familiale mais parce que ce parti à l’époque défendait le personnalisme contenu dans la doctrine sociale de l’Eglise et l’enseignement libre. Et puis, il y a l’influence de la pensée de Teilhard de Chardin dont il a connu l’œuvre majeure: Le phénomène humain publié en 1957 à la fin de ses études. Toutes ces approches et ces lectures l’ont inspiré dans son analyse de l’évolution de la société politique.
Exit la référence chrétienne
Nothomb a manifesté dans sa jeunesse pour l’égalité des deux réseaux scolaires et a été mêlé aux préparatifs totalement insuffisants de l’indépendance du Congo. Il regrette la disparition de la référence sociale chrétienne de son parti. Lorsqu’il en assurait la présidence, la question s’était déjà posée, certains estimant que, comme parti laïc, on ne pouvait compromettre la religion. C’était la position des catholiques pratiquants! D’autres, plus civiques, pointaient la diminution de l’assistance dans les églises. Charles-Ferdinand Nothomb explique: « Le sociologue Maurice Chaumont soulignait à juste titre l’imbrication chrétienne et sociale dans la société. Il était donc important pour une partie de la population de retrouver cette référence dans la gestion politique d’où la nécessité de conserver le « S » et le « C » dans PSC! Ce qui parfois, il est vrai, a figé des positions dans des débats aussi passionnés que l’avortement, par exemple. »
Maudit foot !
Impossible bien entendu de passer à côté du drame du Heysel où d’aucuns réclamèrent la démission de Charles-Ferdinand Nothomb qui était alors ministre de l’Intérieur. A ce sujet, l’ancien homme politique est catégorique: « L’organisation d’un match international est de la responsabilité de ceux qui l’organisent, en l’occurrence en ce cas de l’Union belge de Football agissant pour le compte de l’UEFA. Le ministre de l’Intérieur garantit la présence policière mais ce n’est pas son rôle d’éduquer les spectateurs et généralement tout se passe très bien. Dans ce cas, le dysfonctionnement s’est manifesté dans la répartition des publics dans le stade. Il était prévu de placer entre les hooligans anglais et les supporters italiens, des spectateurs belges. Malheureusement les places de ces derniers ont été revendues au marché noir à des Italiens si bien que les deux clans de supporters se sont retrouvés l’un à côté de l’autre. Ceux qui étaient au courant de cet état de fait auraient dû le signaler aux forces de l’ordre. Or celles-ci n’ont été nullement averties. Elles n’ont donc pas pu changer leur dispositif. Après le drame, la démagogie s’est donné libre cours… »
Démocratie et bonne gouvernance
Un régime parlementaire comme le nôtre assure le contrôle des gouvernements et peut à tout moment faire ou défaire les majorités. Comme ancien président de la chambre, Charles-Ferdinand Nothomb défend la représentation proportionnelle qui est la nôtre même si elle a ses faiblesses. Mais n’est-elle pas la plus proche de la volonté et surtout du respect du choix des électeurs car elle est confortée ou peut être défiée lors de chaque vote. Démocratie qui permet aussi de contrôler l’éthique des élus. Tiens à ce sujet, qu’en pense notre interlocuteur? « Je ne peux pas dire que j’ai constaté au cours de ma carrière de nombreux comportements contraires à la morale même si certains gestes politiques pouvaient être inspirés par des intérêts de privés ou de groupes de pression. Je dois bien avouer que si des faits me revenaient, ils n’étaient jamais prouvés. Je défends le milieu politique et s’il commet des abus, la justice est là pour les juger et ce n’est pas à moi à m’ériger en procureur du Roi et à déterminer ce qui est légitime ou pas pour satisfaire les ambitions de chacun, ni de juger si les interférences d’autrui sont justifiées ou pas! » Mais n’oublions pas aussi que pour contrer certaines pratiques abusives, on a instauré un contrôle strict du financement des partis politiques.
L’actuel président du CDH a-t-il respecté la bonne gouvernance en dénonçant la majorité qu’il avait négociée pour lui préférer en cours de législature une autre? Nothomb rappelle à ce sujet: « Lorsque j’étais président du PSC, les ministres de mon parti, qui gouvernaient alors avec les socialistes à la Région wallonne, sont venus me dire qu’ils ne pouvaient plus supporter la particratie exercée par les socialistes auxquels ils reprochaient de ne pas avoir la même approche qu’eux de la gouvernance. J’en ai conclu qu’il fallait négocier un nouveau contrat avec nos partenaires pour le restant de la législature, mais leur dire que nous ne souhaitions plus continuer au-delà. Le résultat fut que les libéraux s’engouffrèrent dans la brèche pour conclure une alliance avec les socialistes et nous rejeter dans l’opposition. Lutgen n’a pas commis l’erreur car il n’a pas ouvert cette brèche. Je ne condamnerai donc pas son attitude! »
In fine, écrire aussi…
Charles-Ferdinand Nothomb sortira-t-il définitivement de sa réserve dans un prochain ouvrage de sa main? Oui, assurément car si l’homme n’avait pas voulu embarrasser ses successeurs en étalant ses états d’âme, il estime qu’après une retraite politique de vingt ans, il est temps de sortir du bois, notamment en s’insurgeant contre les propos lénifiants de certains sur le « tous pourris en politique ». « Non, martèle-t-il, on peut parfaitement comme je l’ai fait exercer des fonctions supérieures sans succomber aux chants des sirènes de l’argent et sans utiliser l’injure vis-à-vis d’autrui. La politique n’est pas un métier, c’est une vocation. On peut parfaitement conserver sa ligne de conduite et garder ainsi le soutien de ses électeurs ».
En conclusion, qu’apporte le chrétien à la politique? « De l’enthousiasme, le sens du bien commun et de l’organisation collective, le respect des autres et plus particulièrement des démunis en ce compris l’accueil des réfugiés et des migrants. Nous n’avons fort heureusement pas le monopole du cœur et je me réjouis que nos préoccupations soient partagées par d’autres partis ».
Hervé GERARD