Le fruit principal de la prière silencieuse est la communion avec Dieu, dont nous pouvons, à certains moments, faire l’expérience. L’oraison modifie également notre relation à nous-même, aux autres, à la réalité qui nous entoure. L’oraison transforme notre existence, mystérieusement mais réellement.
Quels « effets » la prière silencieuse a-t-elle sur nos vies? Sa finalité, rappelons-le encore une fois, est de nous introduire à la communion avec Dieu, laquelle est donc, logiquement pourrait-on dire, le fruit principal de l’oraison. Cela dit, comment se manifeste notre union à Dieu? Pouvons-nous sentir que nous sommes en communion avec Lui? Pouvons-nous éprouver qu’Il demeure en nous, et que nous demeurons en Lui – pour reprendre le langage du quatrième évangile?
Ces questions ne sont pas nouvelles, mais elles se posent aujourd’hui avec plus d’acuité, alors que l’expérience est mise en avant par un certain nombre de courants spirituels. Dans ce contexte, l’expérience spirituelle est d’ailleurs souvent opposée à la foi, comprise alors comme croyance et obéissance aveugles à une vérité qui nous dépasse.
Expérience de foi
Dans la prière silencieuse, une expérience de Dieu est possible. Bien plus, l’union à Dieu est une expérience, à condition toutefois de s’entendre sur ce qu’on… entend par le mot « expérience ». Si nous devions la décrire, nous dirions que c’est une expérience à la fois imprévisible et progressive, existentielle et réelle. Surtout, il s’agit d’une expérience de foi.
L’oraison, nous l’avons vu, est un exercice, voire une technique de recueillement, par laquelle nous entrons en nous-même afin d’y accueillir la Présence de Dieu, et de demeurer présent à cette Présence. Cette pratique de méditation ne nous donne aucune prise sur Dieu. Elle consiste, au contraire, en un lâcher prise à l’égard de nous-même; elle consiste à nous rendre disponible à l’Amour vivant, agissant de Dieu en nous; elle consiste à enlever progressivement certaines entraves qui empêchent Dieu d’exercer, en nous, son action transformatrice. Ce que nous croyons se fait alors, peu à peu, expérience.
Pouvons-nous éprouver cette présence de Dieu en nous, cet Amour, cette influence? Si, jour après jour, on persévère dans l’oraison, faite de recueillement et d’attention toute simple à la présence du Christ, on peut commencer à percevoir un changement au cœur de la prière elle-même. Alors que, au tout début, il s’agit surtout de « faire », de poser certains actes – se recueillir, maintenir son esprit en éveil, parler à Jésus…– assez vite, on prend conscience que quelque chose prend le relais en nous, obscurément mais réellement. On prend conscience qu’on se laisse faire, et on se retrouve, parfois, et de plus en plus souvent, comme en état de recueillement, de quiétude. Et on se rend compte que ce n’est pas nous qui sommes arrivés à ce que certains appelleront cet « état de conscience modifié », mais que cela nous est donné, et que cela grandit en nous.
Expérience de plénitude
A certains moments, ce qui demeure le plus souvent obscur, parce que se produisant au plus profond de notre être, se manifeste plus clairement. Un peu comme un iceberg qui, de manière imprévisible, émerge des profondeurs pour se montrer à la surface, alors qu’il demeure le plus souvent caché à nos regards. Dans ces moments, on fait pour ainsi dire l’expérience sensible de la Présence qui est en nous. On éprouve alors être plongés dans l’Amour infini, qui est Dieu, on fait l’expérience d’une paix et d’une plénitude, on se trouve dans un état de contemplation de ce qui nous dépasse, mais qui est pourtant en nous. Bref, en termes chrétiens, dans ces moments, nous faisons l’expérience, consciente, de la communion avec Dieu.
A propos de cette expérience, certains parlent de « sentiment océanique ». Il ne s’agit toutefois pas, à proprement parler, d’un sentiment ou d’une émotion, car « cela se passe » à un niveau plus profond, à la racine de notre être. Comme nombre de spirituels chrétiens nous l’ont appris au cours de l’histoire, ces moments ne constituent d’ailleurs pas l’essentiel de l’action de Dieu en nous, par la prière. Ils en sont plutôt la manifestation (plus ou moins) consciente, à certains moments privilégiés. Ces moments ne doivent pas être négligés pour autant car, à la manière des signes des évangiles, ils nous font pressentir, expérimenter humainement ce qui passe réellement en nous et que nous révèle la foi chrétienne: Dieu nous donne la Vie et nous transforme par son Amour.
Amour de soi
Si ce processus de transformation peut donner lieu à ces expériences ponctuelles de plénitude – certains priants l’éprouvent parfois, d’autres rarement, d’autres une seule fois, certains jamais, mais ce dernier cas de figure est plutôt l’exception que la règle… –, elles n’en sont pas le seul fruit, loin s’en faut. L’action transformatrice, rénovatrice et réparatrice de Dieu à travers l’oraison va avoir un impact positif sur tous les aspects de notre existence. Sur notre relation à nous-même, d’abord.
Lorsque nous plongeons en nous-même, dans la prière silencieuse, nous nous détournons de notre ego pour fixer notre regard sur Dieu qui, Lui aussi, nous regarde. D’un regard infiniment amoureux et bienveillant, qui nous guérit et nous relève. Or, regarder Dieu qui nous regarde modifie fondamentalement le regard que nous portons sur nous-même. En faisant l’expérience d’être regardé et aimé pour ce que nous sommes, avec tout ce que nous sommes, nous découvrons nos faiblesses et nos limites, mais également nos talents et nos qualités. Et nous apprenons à les accepter, à les aimer à la suite de Dieu, sans jugement destructeur sur nous-même, sans orgueil démesuré non plus, mais avec ce réalisme qui vient avec le détachement, avec la distance que nous prenons par rapport à nous-même.
Le regard de Dieu nous soigne, son action nous guérit. Lorsque nous nous exposons à Dieu, sa Lumière s’infiltre peu à peu jusque dans nos ténèbres les plus secrètes. Cela peut passer par des moments de réminiscence douloureux, mais nous éprouvons également alors que certains noeuds se défont.
Amour du prochain
Ce lent travail de guérison et de transformation va également affecter positivement nos relations aux autres, proches comme lointains. Le regard réaliste que nous portons désormais sur nous-même, nous l’appliquons également aux autres. Nous devenons capables de comprendre leurs limites et leurs faiblesses, souvent les mêmes que les nôtres, et nous comprenons mieux tel ou tel comportement, tel ou tel manquement de leur part.
Surtout, nous devenons capables d’aimer l’autre pour ce qu’il est, tout comme nous sommes aimés de Dieu pour ce que nous sommes. Nous commencons à aimer l’autre comme nous-même, comme un autre nous-même. C’est là, sans doute, le signe le plus authentique de la transformation qui s’opère en nous, son fruit le plus important. Car, comme l’écrit saint Jean dans sa première épître, « L’amour vient de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et parvient à la connaissance de Dieu« . Par contre, « qui n’aime pas n’a pas découvert Dieu, puisque Dieu est amour » (1 Jean 4, 7-8). Si l’amour du prochain est signe de l’amour de Dieu qui agit en nous, en retour, notre amour des autres nous rapproche davantage encore de Dieu. Amour actif et contemplation sont intimement liés.
D’autres conséquences positives de l’oraison pourraient encore être mentionnées. Relevons simplement, pour terminer, que la transformation de notre personnalité se marque encore par une attitude générale d’ouverture et d’émerveillement, voire d’abandon à l’égard de la beauté et de la vie, sous toutes ses formes, et telle qu’elle nous arrive. Nous sommes, plus souvent qu’avant, touchés par la beauté d’une sculpture, emporté par un morceau de musique, sensibles à la majesté d’un arbre, toutes choses dont nous percevons en quelque sorte l’être profond. Bref, l’oraison nous permet d’entrer en communion avec Dieu, avec les autres, avec le cosmos.
Christophe HERINCKX