Avocat et blogueur chrétien, Erwan Le Morhedec prend peu à peu sa place dans le débat public français. Face à l’angoisse de la disparition des voix chrétiennes, il dénonce la récupération identitaire du christianisme. Rencontre à Paris.
Le débat public français ne laisse que rarement la place aux voix chrétiennes. Pouvez-vous expliquer cette « exception française »?
La laïcité française s’est forgée dans un rejet de la religion d’une part, et d’autre part, le relativisme engendré par la notion de tolérance attaque toute affirmation un peu saillante, surtout quand elle vient du monde chrétien. Aujourd’hui, les chrétiens se perçoivent comme une minorité et agissent en tant que telle.
Vous dites que le christianisme peut retrouver une existence en tant que minorité. Est-ce vraiment son avenir?
Je pense qu’il ne faut pas se complaire en tant que minorité, mais il ne faut pas non plus, percevoir cet état actuel comme une malédiction. On peut être, comme le dit Benoît XVI, des minorités créatives et non réactives. En d’autres termes, il ne s’agit pas de fonder des ligues anti-diffamation, mais d’être capable d’irriguer à nouveau la société par la façon dont on vit sa foi. La majorité des Français (55%) qui se disent de culture chrétienne mais ne pratiquent pas, ne vont pas beaucoup plus loin que le message: « Soyez sympa avec les autres ». Cette menace qu’on peut appeler de dissolution, peut pousser la minorité à réévaluer son rapport à la société, sans tomber dans l’affirmation souvent passéiste d’une appartenance identitaire.
Dans votre livre, vous dénoncez la confusion ou la récupération du christianisme par les mouvements identitaires. Pouvez-vous expliquer?
Oui, je constate que certains, par peur de la disparition, limitent le christianisme à l’appartenance à une culture chrétienne, en le rangeant aux côtés de la baguette, du saucisson ou du vin rouge et confondent culture et Christ, identité et foi. Cela se passe par exemple avec la défense des chrétiens d’Orient où se mêlent des personnes animées par la foi à d’autres cherchant à revendiquer une identité sur le plan politique. Ce que je reproche aux identitaires, c’est de venir lécher les blessures de la sensation de disparition du chrétien. L’identitarisme soigne l’angoisse, mais calcifie, fige la personne. Il s’agit souvent d’un conservatisme qui mêle religion et politique, et, au fond, c’est contraire au message du Christ. Ce n’est pas la première fois que cela arrive dans l’histoire du christianisme. Pour Maurras, l’Eglise était du côté de l’ordre et se présentait comme un pouvoir, aux côtés des autres pouvoirs politiques ou militaires. Mais l’Eglise ne doit pas toujours être du côté du maintien de l’ordre social. Si celui-ci est bon, alors pourquoi pas, mais s’il ne l’est pas, le chrétien doit être subversif.
La Manif pour tous a-t-elle été un moment subversif?
Cette expérience a eu pour résultat de nous détacher en tant que chrétiens d’une forme de légitimisme et de passivité à l’égard de la société. La Manif pour tous a été un échec sur le plan politique puisqu’elle n’a pas empêché la loi Taubira, mais elle a été une réussite sur le plan social et a confirmé la place des chrétiens dans un rôle de minorité. (…)
Propos recueillis par Laurence D’HONDT
« Identitaire, Le mauvais génie du christianisme », Erwan Le Morhedec,
éd. Du Cerf, 2017, 168 pages.
Le blog d’Erwan Le Morhedec:www.koztoujours.fr