Le comédien Michael Lonsdale n’a jamais caché sa foi. Elle a été un long cheminement pourtant. Dans son dernier livre, « Il n’est jamais trop tard pour le plus grand Amour », il raconte son parcours d’homme de foi et de comédien, son rôle dans le film Des hommes et des dieux, l’importance qu’il accorde à la prière
Votre foi est venue lentement. Pouvez-vous raconter votre parcours?
C’est d’abord l’art qui m’a offert l’intériorité dont j’avais besoin. Je fréquentais les Ateliers d’Art sacré fondés par Maurice Denis à Paris. C’est là que j’ai rencontré le père Régamey, qui m’a proposé le baptême à l’âge de 22 ans. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps et j’ai dit oui, dans une adhésion absolue. Longtemps, je suis resté pourtant un chrétien un peu tiède, qui vivait égoïstement et fuyait sa paroisse ennuyeuse. Je vivais plutôt content de moi, jugeant sévèrement autrui. Mais je suis devenu lentement une autre personne. Ma foi m’a ouvert le cœur que j’ai appris à laisser parler. Dieu est sensible au cœur, non à la raison. Mais ma foi reste intimement liée aux deux autres composantes de mon existence, le cinéma et la peinture.
Comment parvenez-vous à allier votre foi et votre talent de comédien?
J’ai perçu le don de comédien que j’avais reçu, comme étant un Don de Dieu. Il fallait le faire éclore pour l’amour des autres, non pas seulement pour le contentement personnel. Jouer est une façon d’échapper à soi-même. Un bon comédien est quelqu’un qui offre quelque chose que le spectateur reconnaît comme vrai. Je pense parfois que Jésus était à sa manière un comédien. Il a été l’homme qui a joué un scénario écrit dans les livres plus anciens, l’agneau mené au sacrifice pour effacer les péchés du monde. Il devait assumer son rôle et l’a fait, pour de vrai. Dieu nous fait des signes à travers l’art. L’art n’est pas un ornement pour moi, mais un chemin de vérité. Nos grandes civilisations aujourd’hui sont impressionnantes. Souvent on se sent anonyme, écrasé. L’art et le regard de rédemption du Christ peuvent aider, ensemble.
Dans votre parcours spirituel, vous avez fait plusieurs rencontres déterminantes. Pouvez-vous en parler?
Oui, il y a eu Maurice Zundel, un prêtre très original, qui a un temps choqué la hiérarchie catholique. Il a dit que Dieu n’a pas de pouvoir. L’évêque de Lausanne n’a pas accepté cette idée, mais le pape Paul VI est intervenu et a demandé ses livres. Il a alors été invité à parler, puis à prêcher la retraite du carême au Vatican. Aujourd’hui, sa pensée rayonne. Peut-être que le mot pouvoir n’était pas le bon mot à utiliser, mais il voulait dire que Dieu est humble et que sa seule force est l’amour. Il disait: « Il faut être maternel avec soi-même, nous traiter avec une infinie délicatesse pour accueillir l’amour de Dieu« . Mais il y a aussi eu la rencontre du père Youakim Moubarac, un maronite libanais. Il était pour moi, l’incarnation de la passion de Dieu qu’il recherchait dans toutes les traditions spirituelles.
Vous avez aussi fréquenté les mouvements charismatiques…
A l’âge de 40 ans, j’ai perdu ma mère et plusieurs proches et je me sentais soudain très démuni. C’est alors que j’ai rencontré un groupe de prière charismatique. Ce mouvement développe le talent en nous, grâce au partage, aux chants, à la prière commune. J’aime aussi la prière en langues que ce mouvement développe: c’est un chant qui n’est pas fait de mots connus et n’a apparemment pas de sens. C’est une façon de parler à Dieu. J’ai toujours aimé ce qui relève de la vie animale chez le comédien, qui est occulté par le bien-dire, le bien-phraser et je m’accorde bien avec la liberté que ce chant incarne.
Vous avez joué le frère Luc dans le film Des hommes et des dieux, l’histoire des moines de Tibhirine en Algérie, assassinés il y a 20 ans. Quel impact ce rôle a-t-il eu dans votre parcours?
ça a été une expérience bouleversante. Le frère Luc était un exemple pour le genre humain. Il a refusé de devenir prêtre parce qu’il n’avait pas le temps de prier cinq fois par jour et voulait se consacrer aux malades du matin au soir. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Il a accepté de mourir parce qu’il a compris qu’à Tibhirine, il était déjà dans la vraie vie, dans l’amour du Christ. La mort ne changerait rien à son état. Mais au-delà de mon rôle, je peux dire que le film est entré dans nos vies saturées de mouvements et de bruits comme une respiration, où la rencontre et la prière sont essentielles, où évoluent des gens calmes qui aiment les autres, malgré le contexte de violence et de haine.
Comment voyez-vous l’avenir de l’Eglise face aux défis contemporains: déchristianisation, violences religieuses, menaces sur l’existence des chrétiens d’Orient?
L’Eglise doit continuer à faire son travail: l’amour, aider les autres pleinement. Je pense que nous abordons le commencement d’une dernière civilisation. Les choses importantes et vraies s’abîment: la sympathie, le souci du travail bien fait, la famille. Dostoïevski a dit que la beauté sauverait le monde. Je pense que c’est l’amour car la beauté n’est qu’un attribut de Dieu qui est amour. Je pense qu’un chrétien seul est un chrétien en danger. Ainsi, les chrétiens d’Orient sont en danger. Mais ces Eglises d’Orient ne doivent pas faire autre chose que les moines de Tibhirine: continuer à prêcher l’amour. Si l’ennemi perçoit cela comme un aveu de faiblesse, cela n’a pas d’importance. Il faut prier.
La prière est essentielle dans votre vie. Que représente-t-elle?
Je prie de façon très libre, à n’importe quel moment de la journée. Je récite souvent le « Notre Père ». Parfois, je pratique aussi la prière du cœur qui consiste à répéter « Seigneur Jésus-Christ, fils de Dieu, aie pitié de moi, pauvre pécheur ». En douceur, on se déplace ainsi de la réflexion vers l’amour. Peut-être qu’on ne prie vraiment que lorsque ce qui est construit dans la tête est déposé dans le cœur. Cela me procure une douceur, une joie infinie.
Propos recueillis par
Laurence D’HONDT
Michael Lonsdale, « Il n’est jamais trop tard pour le grand Amour », aux éd. Philippe Rey, 156 pages, 14,90 euros.