Il y a huit siècles, l’Ordre des Dominicains naissait à Toulouse… L’occasion d’en savoir plus sur son histoire, son inspiration, les figures marquantes et la présence dominicaine dans le monde aujourd’hui. Cette année jubilaire s’est ouverte le 7 novembre 2015, elle se clôturera le 21 janvier 2017.
Au début du 13e siècle, Dominique de Caleruega (ou Dominique de Guzmán), plus connu aujourd’hui sous le nom de saint Dominique, est chanoine dans la région de La Castille, en Espagne, lorsque son évêque, Diègue d’Osma, lui demande de l’accompagner dans une mission diplomatique au Danemark. Au retour, passant par le Languedoc, l’évêque observe que beaucoup de personnes se sont tournées vers le catharisme, religion dualiste qui repose sur l’opposition entre le bien et le mal. Diègue abandonne toutes ses affaires pour essayer de convertir les cathares avec pour seule arme l’Evangile et un message: il y a une voie pour le salut, une voie de libération, plus féconde pour l’homme que d’être enfermé dans cette dualité. Sur le modèle de la prédication itinérante de Jésus, Diègue et Dominique rencontrent ces personnes et les écoutent. Au décès de l’évêque, Dominique va prendre le relais et réaliser l’intuition de Diègue d’Osma. Il s’installe dans un premier temps dans la région de Toulouse avec les premiers frères et les moniales. Pour protéger des femmes qui ont quitté le catharisme, Dominique les rassemble en communautés de moniales. Elles formeront la première communauté dominicaine féminine. En 1215, toujours à Toulouse, Dominique va rassembler les premiers frères. Petit à petit, la grande aventure dominicaine va commencer. Le premier nom de l’Ordre est l’Ordre des Prêcheurs, la référence à saint Dominique s’imposera plus tardivement.
Un développement rapide
En Europe, une nouvelle dynamique se met en place au 13e siècle avec l’essor des grandes villes. L’Eglise est, à cette époque, principalement implantée dans les campagnes avec les abbayes bénédictines. Dominique veut développer une présence chrétienne dans les nouvelles villes du Moyen-Age. Des rivalités vont apparaître, entre l’intuition dominicaine qui prône l’enseignement et la prédication et les franciscains qui trouvent la présence dominicaine un peu menaçante.
L’Ordre des Prêcheurs se développe très rapidement. Dès 1217, Dominique envoie des frères fonder des couvents dans plusieurs villes de France, d’Espagne et en Italie, à Bologne. Des villes qui comptent des universités parmi les plus prestigieuses au monde, comme Paris ou Oxford, ont été choisies par Dominique pour qu’il y ait une présence d’Eglise dans les universités. Les nouveaux couvents comportent régulièrement des studiums et une bibliothèque, avec l’objectif de donner la liberté à chacun d’étudier selon ses capacités et son zèle, que ce soit le jour ou la nuit. Aujourd’hui encore, la curiosité intellectuelle est une caractéristique du frère prêcheur. « Cet attrait pour l’Ordre dès sa création, en partie liée au charisme de Dominique, est une chance mais aussi un grand défi », observe le frère Alain Arnould, qui coordonne ce jubilé. « L’enseignement est primordial, mais tout le monde ne peut pas devenir professeur d’université. La tradition de l’Ordre est l’accueil de la diversité. Martin de Porrès, un grand saint dominicain du Pérou n’a jamais écrit de livre, n’a jamais prêché en chaire, il était là à la porterie de son couvent pour accueillir, pour distribuer des vivres aux nécessiteux. C’est par sa présence et son accueil qu’il a témoigné de l’amour du Christ. Ce n’est pas nécessairement par la parole. » En quelques décennies, plusieurs centaines d’établissements nouveaux fleurissent à travers l’Europe. L’Ordre a trouvé un équilibre entre les frères qui ont une charge pastorale, ceux qui accompagnent plus spécifiquement les malades ou les mourants et d’autres qui se consacrent davantage à l’étude.
Une page sombre de l’histoire dominicaine
Le pape Grégoire IX, se méfiant du manque d’efficacité pastorale des évêques, confie l’Inquisition dès sa création par la bulle Excommunicamus (1223) aux dominicains, deux ans après la mort du fondateur de l’Ordre. Cependant, Dominique n’avait pas participé lui-même à la croisade contre les Albigeois, préférant lutter par les moyens du verbe. Compte tenu de leur compétence théologique, de leur vocation à être près du peuple, et de leur bonne image dans la société médiévale, le pape choisit de préférence dans les rangs des dominicains ses représentants pour en faire des juges de l’Inquisition*. Pour pouvoir se consacrer pleinement à leur tâche, ils sont fréquemment relevés de certaines des obligations que leur règle leur impose, comme celle de leur vie conventuelle et apostolique. On a donc aussi un certain relâchement dans le strict respect de la règle de saint Augustin que les dominicains s’appliquaient à suivre.
L’après Dominique
Saint Dominique décède assez rapidement après la fondation de l’Ordre, en 1221. Peu avant sa mort, il se retire de l’Ordre et est réélu malgré lui lors du chapitre (la plus haute instance décisionnelle) de Bologne. Après la mort de Dominique, les choses sont assez difficiles. « Il n’y avait pas nécessairement une chaire dans toutes les universités et il fallait trouver les charismes et les engagements de l’Ordre. D’autre part, il y a des déceptions. Cela ne marche pas aussi bien que prévu », explique Alain Arnould. « Certains privilégient un chemin individuel plutôt qu’un chemin communautaire, ce qui crée des tensions. De multiples facteurs rendent le 14e siècle assez difficile jusqu’à ce qu’on ressente un besoin de réformes. Des personnes, comme Raymond de Capoue et comme Catherine de Sienne, vont s’atteler à réformer l’Ordre et la vie interne des couvents au 14e et début du 15e siècle ». Cette réforme verra le retour à l’intuition initiale de Dominique: essayer d’équilibrer une vie de prière, d’étude et un engagement et une ouverture aux autres et très communautaire. De grandes figures comme Fra Angelico ou Antonin de Florence marqueront cette période de leur empreinte. En Belgique, on retiendra plus particulièrement le père Dominique Pire qui a reçu le prix Nobel de la Paix en 1958 pour son engagement, après la Deuxième Guerre mondiale, auprès des personnes déplacées. Le père Pire n’est cependant pas le seul dominicain à avoir reçu un prix Nobel. Sigrid Undset, une tertiaire dominicaine, a reçu un prix Nobel de littérature au début du 20e siècle pour ses ouvrages, notamment sur Catherine de Sienne. Aujourd’hui, les dominicains dans le monde regroupent des frères, des moniales, des religieuses et des laïcs engagés: 6.000 frères, plus de 3.000 moniales contemplatives et cloîtrées, 25.000 religieuses affiliées et 150.000 fidèles laïcs engagés. C’est une présence importante qui réunit des diversités de caractères et de charismes extrêmement larges.
M. V.L.
*Source: Guy Bedouelle et Alain Quilici, Les frères prêcheurs, autrement dit dominicains, Editions Le Sarment Fayard, 1997